dimanche 31 janvier 2016

Van Dyck et l'art du portrait (2)

A la cour des Stuart


L'inlassable travail accompli dans son ermitage d'Anvers avait fini par porter ses fruits en Angleterre. Un de ses amis, Endymion Porter, avait offert au roi Charles un tableau peint par le jeune artiste flamand, intitulé Armide et Renaud, mettant en scène le tragique couple de la Jérusalem délivrée du Tasse. Enfin, Antoon recevait directement la faveur du monarque Stuart. Le temps de régler ses affaires, il débarquait en Angleterre en mars 1632. Présenté au couple royal, il réalisa aussitôt deux portraits en buste qui confirmèrent ses talents auprès de la Cour. Un grand tableau de la famille royale, conservé au château de Windsor, fut par la suite commandé. Les portraits royaux de van Dyck furent nombreux au cours de son séjour anglais (19 portraits du roi, 17 de la reine). En voici deux exemples révélant pleinement cette délicatesse extraordinaire du portraitiste, mêlant les influences flamande et italienne dans de savantes compositions. 

La reine Henriette-Marie de profil, 1638, Royal Collection

On reconnaît pleinement les traits bourboniens de la fille d'Henri IV et de Marie de Médicis, qui épousa en 1625 le jeune Charles Ier. Un portrait plein de délicatesse, à l'image de cette princesse, comme en témoigne la précision du détail des cheveux ondulés, de la finesse du drapé et de la dentelle de sa collerette. La souveraine a 29 ans, mais ses traits sont déjà marqués par les soucis religieux et politiques : Henriette est demeurée personnellement fidèle à sa foi catholique, au milieu d'un pays à peine relevé des persécutions élisabéthaines, et a tiré de cet attachement viscéral une redoutable impopularité. Sans compter les démêlés de plus en plus exacerbés avec le Parlement et les puritains, qui conduiront à la guerre civile à partir de 1642. 

Triple portrait de Charles Ier, 1636-1638, Royal Collection

C'est le plus fameux portrait du souverain anglais. En attaquant sur trois angles le royal visage, et en les réunissant dans un tableau innovant, van Dyck souligne la dignité de son maître et bienfaiteur. Le jeune peintre put approcher fréquemment le monarque et constater sa grandeur d'âme et sa bienveillance, qui rachetaient de loin ses imprudences politiques. Loin d'être un simple collectionneur, il était un amateur d'art averti et sa protection était sincère et réfléchie. Le triple regard, traduit par la plume de notre peintre, reflète pleinement cette profondeur, cette bonté et cette sincérité, tout en manifestant une difficile adaptation aux obligations de la politique et un désintérêt qui lui coûtera sa couronne et sa vie.

En juillet 1632, Antoon était nommé officiellement peintre principal de la famille royale, et recevait le titre de Knight, arborant une chaîne d'or symbolisant cet honneur. L'année suivante, une pension annuelle de 200 livres sterling lui fut octroyée. Cet attachement des souverains pour le jeune prodige ne sera jamais révoqué. Il conservera sa charge jusqu'à sa mort précoce.Van Dyck s'était installé dans le quartier de Black Friars, près de l'ancien monastère dominicain de Londres, où il recevait fréquemment la visite du roi et, à son exemple, de l'aristocratie anglaise. L'atelier était devenu, si j'ose dire, the place to be dans le Londres des années 1630 !

La fortune italienne semblait ressusciter ! C'est une véritable cour fastueuse que le peintre étranger entretenait autour de lui, comme l'affirmait le critique d'art italien Giovanni Pietro Bellori (1613-1699) :

C’est avec ce luxe qu’il recevait les plus grands personnages, dames et seigneurs, qui, chaque jour, se venaient faire peindre chez lui. Il avait l’habitude de les retenir à sa table, dépensant en mets exquis trente écus par jour, ce qui semblera incroyable à ceux qui ont l’habitude de notre parcimonie italienne, mais non à ceux qui connaissent les pays étrangers et songent au nombre de gens qu’il nourrissait. En outre, il entretenait des hommes et des femmes comme modèles pour ses portraits, car une fois la ressemblance du visage assurée, il faisait le reste au moyen de ces modèles… Il avait l’habitude de peindre du premier coup, et quand il faisait des portraits, il les commençait le matin de bonne heure et, sans interrompre son travail, retenait à déjeuner ces nobles seigneurs, si hauts personnages et si grandes dames qu’ils fussent ; ils allaient d’ailleurs volontiers chez lui, comme en partie de plaisir, attirés par la variété des divertissements. Après dîner, il se remettait à l’ouvrage de façon à peindre deux tableaux en un jour, qu’il terminait ensuite avec quelques retouches.
Bref, van Dyck ne fut pas gagné par l'oisiveté ! Cet entourage et ce faste n'étaient là que pour fortifier son talent et son ardeur à la tâche. Cet acharnement au travail était tel qu'il réalisait plusieurs tableaux et portraits simultanément, en prenant le temps de la réflexion et de la conception, comme l'explique le peintre français Roger de Piles (1637-1709), dans le langage de son temps :

Van Deik ne travailloit jamais plus d’une heure par fois à chaque portrait, soit à ébaucher, soit à finir, et, son horloge l’avertissant de l’heure, il se levoit et faisoit la révérence à la personne, comme pour lui dire que c’en étoit assez pour ce jour-là ; après quoi son valet de chambre lui venoit nettoyer ses pinceaux et lui apprêter une autre palette pendant qu’il recevoit une autre personne à qui il avoit donné heure. Il travailloit ainsi à plusieurs portraits en un même jour d’une vitesse extraordinaire. Après avoir légèrement ébauché un portrait, il faisoit mettre la personne dans l’attitude qu’il avoit auparavant méditée et avec du papier gris et des crayons blancs et noirs, il dessinoit en un quart d’heure sa taille et ses habits qu’il disposoit d’une manière grande et d’un goût exquis. Il donnoit ensuite ce dessein à d’habiles gens qu’il avoit chez lui pour le peindre d’après les habits mêmes que les personnes avoient envoyés exprès à la prière de Van Deik. Pour ce qui est des mains, il avoit chez lui des personnes à ses gages de l’un et de l’autre sexe qui lui servoient de modèle. 
Malheureusement, le jeune peintre n'était pas non plus économe de son argent, qu'il dépensait largement dans les tables somptueuses et les aventures galantes... Toutefois, loin d'étaler sa vie privée sur la place publique, il savait conserver une discrétion qui lui fut reconnue par tous. Son besoin d'argent, mêlé à l'ambition de dépasser celui-là même qui l'avait formé, le grand Rubens, exigeait un regain d'effort dans le travail. Les productions postérieures à 1635 se multiplièrent à une vitesse incroyable. 

James Stuart, 4th duke of Lennox, 1637, Metropolitan museum of Art, New York

Les portraits de l'aristocratie anglaise ne cédaient en rien à ceux de la famille royale. Les plus grandes familles se bousculaient à Black Friars pour obtenir l'immortalisation de leurs membres par le prodige flamand. Ainsi, James Stuart (1612-1655), cousin du roi, duc de Lennox et de Richmond, représenté dans toute la splendeur de sa jeunesse, revêtu des insignes de la Jarretière, peint en toute simplicité en compagnie de son magnifique lévrier, sur la tête duquel il pose délicatement sa main droite.

Charles-Louis, Électeur palatin, 1637, Museum of Fine Arts, Houston

L’Électeur palatin, Charles-Louis de Wittelsbach (1617-1680), neveu de Charles Ier, fut élevé à la Cour d'Angleterre. Son père, Frédéric V, avait été déchu de son titre d’Électeur et privé de ses États, à la suite de sa rébellion en 1620 - Charles ne les récupéra qu'en 1648, à l'issue des traités de Westphalie. Ce majestueux jeune homme de 20 ans allie le prestige militaire de sa race (notez la reluisante armure) à l'élégance de son époque (les cheveux étalés sur une magnifique collerette de dentelle). Son visage droit, figé, et son regard à la fois déterminé et songeur, sont ceux d'un prince sans couronne qui attend avec impatience la revanche des siens. D'ailleurs, elle semble approcher, puisque le prince et son frère Rupert partiront peu après pour l'Allemagne.  

Thomas Killigrew et un ami, 1638, Royal Collection
Ce tableau représente deux gentlemen en conversation intellectuelle. Face à nous, légèrement de biais, un jeune homme blond adossé sur le rebord d'une base de colonne, dans une pose mélancolique, tient négligemment une feuille au bout de sa main droite. Il s'agit de Thomas Killigrew (1612-1683), ancien page du roi Charles Ier, qui faisait alors ses premiers pas dans la composition dramatique. Il acquit une grande célébrité sous le règne de Charles II. Près de lui, un personnage de profil tenant fermement une feuille entre ses mains, semblant lire une lettre ou des vers. Il s'agirait certainement de lord William Crofts, beau-frère de Killigrew. Le dramaturge a perdu son épouse de la peste, quelques mois plus tôt, après deux années de mariage. Son beau-frère semble chercher à le consoler, mais Killigrew est manifestement distrait par son chagrin.


La fin d'un génie


Du côté royal, pourtant, la situation financière était préoccupante. Les conseillers du souverain, le comte de Strafford et l'archevêque Laud, poussèrent le monarque à réduire les dépenses de son mécénat. Van Dyck en fit les frais et son besoin d'argent finit par devenir une préoccupation maladive. Charles Ier, inquiet pour la santé de son protégé, lui organisa un mariage avec une fille de bonne famille, Mary Ruthven. Toutefois, Antoon subissait le contrecoup des évènements politiques d'une Angleterre au bord de la guerre civile. Que lui fallait-il faire ? Quitter l'Angleterre pour assouvir ailleurs sa quête de fortune ? Lors d'un court séjour sur le continent, en 1641, il fut frappé dans son orgueil et dans ses affections : Poussin lui fut préféré par Richelieu pour une commande au palais du Louvre, Rubens avait rendu son âme à Dieu et l'Angleterre sombrait dans la guerre. Son ami et protecteur, le comte de Strafford, fut jugé pour haute trahison par le Parlement et décapité. Fin novembre, van Dyck, rongé par la fatigue et bouleversé par ces épreuves, rentrait à Londres. Le 9 décembre, il mourait d'épuisement, à l'âge de 42 ans, huit jours après la naissance de sa fille Justiniana. Le profond chagrin de Charles Ier entoura d'une sincère sollicitude les obsèques de son protégé, qui fut enterré dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.

Autoportrait au tournesol, v. 1633, Coll. privée

Pour être objectif, nous ne pouvons pas ne pas noter une faille dans le style et la pratique de van Dyck. Il s'agit de sa spécification acharnée dans l'art du portrait, qui avait finalement affecté ses capacités d'imagination dans le domaine du tableau historique, à tel point que ses œuvres en la matière seront éclipsées par celles de ses contemporains. Malgré tout, cette tendance restrictive correspondait tout à fait au tempérament de notre peintre, qui apparaît pleinement sous le pinceau de ses autoportraits : "Il suffit d’avoir vu l’un d’eux pour comprendre qu’on se trouve en face d’un tempérament extrêmement vif et nerveux, d’une intelligence déliée et sagace, d’un caractère prompt et impressionnable." (Lafenestre). La sentimentalité - et non un sentimentalisme qui manifesterait une forme d'immaturité artistique - du personnage se reflète aussi pleinement dans son œuvre et "donne le secret des mobilités apparentes de son talent dont le fond, assez limité, ne se modifia jamais". Telle est la ligne directrice de van Dyck, cette spécificité qui se manifeste à travers les quelques exemples que nous avons présentés dans cette petite analyse, et qui n'altéra en rien l'exactitude du dessin qui lui fut enseignée par ses maîtres flamands. La "conversion" italienne lui a permis de tempérer son exaltation juvénile, de fondre la vigueur des Flamands dans le calme des maîtres de la péninsule.

Sa grande finesse était aussi de maintenir l'équilibre entre une puissante créativité et une stricte fidélité à la représentation de la nature. L'âme transparaît toujours, même sous les traits peu gracieux de certains modèles. Quant au raffinement, il sera vraiment à son comble en Angleterre, où les portraits de van Dyck gagneront en subtilité, en souplesse et en fraîcheur. L'un de ses derniers tableaux, représentant le prince d'Orange, Guillaume de Nassau, et sa jeune fiancée, la princesse Marie Stuart, fille de Charles Ier, manifeste ainsi à la fois l'étonnement naïf de l'enfance et la conscience sérieuse de leur dignité. Sans oublier cette "tristesse souriante", pour employer l'oxymore de Lafenestre, qui manifeste la progressive extinction de cette fragile flamme que fut le grand Antoon van Dyck.

Le Prince d'Orange et sa fiancée Mary Stuart, 1641, Rijksmuseum, Amsterdam

mercredi 20 janvier 2016

Van Dyck et l'art du portrait (1)

Le grand peintre van Dyck, malgré sa courte vie, reste l'un des plus fameux artistes du baroque flamand. Avec Rubens, il est une référence incontournable de la peinture au XVIIe siècle. Membre éminent de la guilde de Saint-Luc, corporation d'artistes basée à Anvers - dont les principaux représentants furent les Brueghel, Rubens, Frans Snyders, Jan Wildens - il s'attacha à donner une dimension européenne à sa touche personnelle en matière de peinture et de gravure. Nous tacherons d'illustrer les talents de ce jeune artiste à travers des exemples de l'art du portrait.

Van Dyck, entre Rubens et le Titien


Antoon van Dyck, né en 1599 à Anvers, fils d'un marchand de soie de la grande ville flamande, se fit remarquer très tôt pour ses dons artistiques. Dès l'âge de dix ans, il se mit à l'école de Hendrick van Balen (1572-1632), qui était profondément marqué par ses voyages en Italie qui le mirent au contact de la peinture italienne. Ce dernier lui enseigna les rudiments de la peinture avant que le jeune Antoon ne se décidât à créer un atelier aux côtés de Jan Brueghel (1601-1678), le petit dernier de la grande dynastie. A peine âgé de quinze ans, van Dyck donnait tous les espoirs d'une carrière prodigieuse, en raison de ses talents précoces, comme en témoigne cet Autoportrait, réalisé en 1614. Ce regard à la fois décidé et imaginatif manifeste déjà le style particulier, réfléchi et personnel, de notre peintre. Issu d'une famille catholique marquée par la dévotion (plusieurs de ses sœurs entreront au couvent), van Dyck était un chrétien comme Rubens, mais aussi un homme d'une profonde sensibilité, qu'il reproduira au fil de ses œuvres.

A. van Dyck, Autoportrait (v. 1613-1614), Académie des beaux-arts, Wien

 En 1618, alors qu'il n'a que dix-neuf ans, il est admis dans la Guilde de Saint-Luc, où il se rapprocha de Peter Paul Rubens (1577-1640), déjà dans les sommets de sa carrière, peintre officiel de la Cour de Bruxelles, auprès des archiducs. Il avait fondé peu auparavant une école à Anvers pour confier aux jeunes artistes la réalisation d'une partie de ses commandes. Assistant privilégié du maître, Antoon était considéré par lui comme "le meilleur de ses élèves". Rubens, qui reçut ponctuellement des missions diplomatiques, favorisa la notoriété européenne de son collaborateur. En 1620, il partit pour Londres, à la demande du duc de Buckingham, afin d'y exécuter plusieurs œuvres destinées au roi Jacques, dont un portrait du souverain conservé au château de Windsor. C'est au cours de ce séjour anglais que van Dyck découvrit plusieurs œuvres du Titien, le grand maître de la Renaissance italienne. Il s'inspirera de la subtilité de ce peintre dans la suite de ses œuvres. L'année suivante, il fut envoyé par Rubens en Italie, pour parfaire sa connaissance des Italiens. 

A Gênes, il rencontra ses compatriotes, les frères de Wael, fils d'un ancien doyen de la guilde anversoise. Il se fit remarquer par la grâce de ses manières et la distinction de son esprit, ce qui favorisa son contact avec l'aristocratie italienne. C'est dans la capitale ligurienne qu'il fit la connaissance de Sofonisba Anguissola (1532-1625), femme peintre presque nonagénaire et désormais aveugle, qui lui fit part de ses contacts directs avec le Titien, qu'elle avait bien connu. Après un tour à Florence, Bologne, Venise et Mantoue, il prit la direction de Rome où il s'installa. Au contact de tous les grands maîtres de l'art italien, il finit par privilégier le Titien et Véronèse ; il avait pu admirer ce dernier à Venise. Voici ce qu'écrivait le critique d'art Georges Lafenestre (1837-1919), dans un article de la Revue des deux mondes (1882) :

Si Titien lui apprit la fermeté de l’attitude, la noblesse de l’expression, l’éclat profond des couleurs, la puissance des sacrifices utiles, Paul Véronèse lui inspira le sentiment des attitudes charmantes, l’amour des colorations brillantes et fraîches, le goût des harmonies d’ensemble, enveloppant dans la tendresse d’une lumière délicate les formes adoucies des choses.
Le tableau suivant, représentant les enfants d'un aristocrate génois, illustre parfaitement cette influence de Véronèse, avec la profondeur des visages et le soin des détails vestimentaires.

Les enfants Balbi (1625-1627), National Gallery, Londres
C'est à Rome qu'il réalisa son premier portrait en pied, celui du cardinal Guido Bentivoglio (1577-1644), ancien nonce en Flandre puis en France. La toile obtint un succès général. De nombreux mécènes et amateurs d'art en voyage à Rome se bousculèrent pour la contempler. Le nom de van Dyck était sur toutes les lèvres. Sa renommée lui attira de nombreuses commandes et de généreuses gratifications, qui firent de lui un "peintre chevaleresque" jalousé par ses pairs romains, qui ne supportaient pas son succès, sa richesse et son impertinence naturelle. Il ne se mêlait pas non plus aux jeunes peintres flamands, amateurs de bagarres et de tapage nocturne, qui se répandirent en calomnies contre leur compatriote. C'était malheureusement le lot des artistes qui n'entraient pas dans le rang, quel qu'il soit... Antoon finit par ne plus supporter l'ambiance romaine et se hâta de retourner, en 1624, dans sa bien-aimée Gênes. 

Autoportrait (1622-1623), Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
Il passa deux années d'intense labeur dans la cité des doges, au service des grands familles (Brignole, Durazzo, Balbi), peignant portraits et scènes historiques à la manière italienne. Le Titien avait toujours sa faveur, et influencera, selon un savant mélange avec les techniques flamandes, ses futurs tableaux. Finalement, en 1625, il se résigna à retourner dans son pays natal, laissant à l'Italie un impressionnant patrimoine et une influence notable sur les jeunes artistes de la péninsule.

Mais les temps avaient changé à Anvers et le jeune artiste subit, comme Rubens à son arrivée, le mépris et la jalousie de beaucoup. Il attendit en vain les commandes tant espérées, regrettant jour après jour les succès italiens. Rubens se pencha sur son ancien collaborateur et lui acheta plusieurs tableaux pour l'encourager. Peu après, les commandes se multiplièrent, auprès des congrégations religieuses surtout, et van Dyck réussit à interpréter avec imagination et réalisme la peinture dramatique sacrée. Il fut même appelé pour réaliser le portrait de l'archiduchesse Claire-Isabelle-Eugénie (1566-1633), gouvernante des Pays-Bas, qui s'était retirée dans un couvent de Clarisses. Ce tableau représente une femme marquée par le poids de l'âge et des responsabilités, cachant les fastes d'hier sous les humbles vêtements d'un ordre mendiant. Un portrait on ne peut plus réaliste, sans aucune intention flatteuse, qui fit la renommée d'Antoon à Bruxelles.

L'infante Isabelle (1627), Kunsthistorisches Museum, Wien

Malgré tout, le jeune artiste, nostalgique de l'aventure italienne, était convaincu qu'il lui fallait quitter la Flandre pour d'autres horizons. L'Angleterre, souvenir de son premier voyage, lui tendait la main. Après un premier échec - le tout-puissant ministre Buckingham accordait sa faveur à d'autres peintres hollandais - van Dyck retourna à Anvers où il fut déterminé à s'enfermer dans l'ascèse laborieuse d'un artiste consacrant sa vie à la peinture. Entre les commandes religieuses, municipales, personnelles, il ne perdait pas son temps et sa détermination lui valut de réparer sa fortune. Ses nombreux portraits, aux couleurs vibrantes, témoignaient de son intention d'ouvrir la société flamande à culture italienne. Comme l'écrivait Lafenestre :

D’une habileté sans pareille à saisir promptement le caractère d’une physionomie et à l’exprimer vivement par ses traits les plus délicats, il déployait dès lors, dans ce genre de travail, une souplesse qui se pliait à toutes les exigences et une aisance qui ne se déconcertait jamais.

Sans compter les merveilleuses eaux-fortes qui soulignent sa maîtrise incomparable de la gravure, dans la lignée de Rubens : portraits de membres de l'aristocratie, mais aussi portraits d'artistes contemporains, qui montrent l'ampleur de ses liens amicaux et professionnels dans le monde artistique. Il a confié aussi à plusieurs graveurs le soin de créer des estampes à partir de ses dessins. Voici quelques exemples d'eaux-fortes de van Dyck, simples épreuves spontanées, parfois révisées au burin, qui témoignent de cette rapidité à saisir l'essentiel chez son modèle  :

Peter Brueghel le Jeune, dans une épreuve non révisée

Le graveur Lucas Vorstermans, dans un état plus achevé

Van Dyck a "révolutionné" l'art de la gravure et a donné une merveilleuse impulsion aux portraitistes en eau forte. L'historien de l'art britannique Arthur Mayger Hind (1880-1957) écrivait à ce sujet : "La gravure de portraits existait à peine avant lui, et elle est soudainement apparue dans son travail au plus haut point qu'elle a jamais atteint dans l'art."

A suivre...