Le 24 octobre 996, voici 1020 ans jour
pour jour, Hugues Capet, roi des Francs, rendait à son Créateur son dernier
soupir. Souverain peu connu, souvent jugé comme le fossoyeur de la dynastie
carolingienne, Hugues était pourtant le modèle même du prince chrétien. Issue
de la plus grande dynastie aristocratique de la France carolingienne, la race
des Robertiens, Hugues était en 956, âgé d'à peine seize ans, le dépositaire
d'un vaste ensemble territorial concentré autour de l'Île de France, mais aussi
l'héritier du titre prestigieux de « duc des Francs » obtenu par son père,
Hugues le Grand, en raison des services éminents rendus au roi carolingien
Louis IV d'Outremer, en 936, à l'occasion de sa montée sur le trône franc.
Hugues Capet poursuivit les traces glorieuses de son père en repoussant, en
978, l'attaque de Paris par les troupes de l'empereur Othon II, suite à la
provocation du roi Lothaire. Soutenu par l'archevêque Adalbéron de Reims,
Hugues était sans conteste l'homme fort du royaume, placé à la tête des Grands
(les principes regnorum). En mai 987,
à la mort du roi Louis V au cours d'une partie de chasse dans la forêt de
Senlis, l'héritier dynastique est son oncle paternel, Charles de Lorraine. Mais
il est rejeté par les évêques qui lui reprochent ses fautes politiques
(alliance avec Othon II) et morales (il accusa d'adultère la reine Emma, veuve
de Lothaire). Selon Richer de Reims, les évêques promurent une sorte de loi
successorale fondée sur le mérite, en faveur d'Hugues Capet :
« Le trône ne
s'acquiert point par droit héréditaire, et l'on ne doit mettre à la tête du
royaume que celui qui se distingue par ses qualités. Donnez-vous donc pour chef
le duc Hugues, recommandable par ses actions, par sa noblesse et par ses
troupes, en qui vous trouverez un défenseur, non seulement de l'intérêt public
mais aussi des intérêts privés. »
L'assemblée
des Grands réunie à l'initiative d'Adalbéron de Reims décida d'élire Hugues
comme nouveau roi des Francs. La vieille tradition franque de l'acclamation des
barons fut suivie du sacre, qui se déroula très probablement le 3 juin 987, en
la cathédrale de Noyon. Quelques mois plus tard, afin d'assurer une continuité
dynastique, il fit associer au trône son fils Robert - futur Robert II le
Pieux. C'est le début de la dynastie capétienne qui régna sans interruption
jusqu'au crépuscule du XVIIIe siècle. A sa mort, le 24 octobre 996, après neuf
années de règne, Hugues avait établi une stabilité durable dans le royaume que
les historiens désignèrent sous le nom de « miracle capétien ».
Sans
entrer dans les détails chronologiques de son règne, notons toutefois les
aspects religieux qui font de la personnalité d'Hugues Capet le digne héritier
du pacte de Reims qui scella la vocation chrétienne de la France. Si le fils
d'Hugues le Grand était un prince laïque, il concentrait entre ses mains un
vaste patrimoine ecclésiastique, selon l'usage de l'époque, en tant qu'abbé
laïque de plusieurs abbayes prestigieuses du royaume. C'était le cas notamment
de Saint-Martin de Tours. Portait-il une chape (cappa) abbatiale ? Le surnom « Capet », qui sera repris
ultérieurement pour désigner la dynastie dont il fut le fondateur, se
rapporterait à cet usage, à moins qu'il y ait là une référence à la cape ou
manteau de saint Martin, l'apôtre des Gaules. Ce serait là une analogie tout à
fait singulière. Quoiqu'il en soit, Hugues avait obtenu toute la confiance de
l'épiscopat franc, au premier rang duquel se plaçait Adalbéron, archevêque de
Reims, lointain successeur de saint Rémi. Adalbéron était assisté par
l'écolâtre Gerbert d'Aurillac, qui sera le « pape de l'an mil ». Désireux de
restaurer l'unité du royaume franc, sinon la restauration de l'Empire,
Adalbéron et Gerbert virent en Hugues Capet le prince idéal pour assurer un
renouveau politique et spirituel du royaume après les troubles des IXe et Xe
siècles, d'autant plus que le jeune duc des Francs soutenait ardemment la
réforme monastique introduite par Cluny quelques décennies auparavant. Hugues
Capet pouvait ainsi être le « roi clunisien », le soutien temporel idéal de la
vaste entreprise de réforme religieuse du monde occidental qui se poursuivit
aux siècles suivants. Il soutint vigoureusement l'œuvre de saint Mayeul de
Cluny et l'autonomie des monastères réformateurs, à l'exemple de l'abbaye
Saint-Germain d'Auxerre.
Gerbert
d'Aurillac ne tarit pas d'éloges sur l'exemple positif d'Hugues Capet. Il écrit
ainsi notamment : « Le roi Lothaire n'est le premier en France que par son titre.
Hugues l'est, non par le titre, mais par ses faits et gestes. » Le
futur pape dresse ainsi quelques caractères essentiels du portrait idéal du
prince chrétien, dans la grande lignée des « miroirs des princes ». Ce jugement
éthique fut confirmé en 987 lors de la compétition entre Hugues Capet et
Charles de Lorraine, ce dernier n'ayant pas les aptitudes morales requises pour
monter sur le trône franc. C'est dans cette perspective aussi qu'Hugues confia
à Gerbert l'éducation de son fils Robert, afin d'en faire un prince chrétien
exemplaire.
Cependant
un conflit opposa Hugues à plusieurs évêques, hostiles à ses campagnes
militaires acharnées contre la résistance des derniers Carolingiens, qui
intervenaient alors que la « paix de Dieu » avait été introduite par le concile
de Charroux (989). En 991, Hugues fit réunir le concile de Verzy afin de juger
pour trahison l'archevêque Arnoul de Reims, neveu et principal soutien de
Charles de Lorraine. Une querelle entre le temporel et le spirituel semble être
inaugurée lorsque saint Abbon de Fleury fit savoir que seul le pape était
compétent pour juger un évêque et convoquer un concile. Arnoul fut toutefois
déposé et Gerbert d'Aurillac fut désigné comme archevêque de Reims. Les évêques
francs confirmèrent cette décision face au pape Jean XV.
Saint Valéry apparaissant à Hugues Capet (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle, Paris, BNF) |
Malgré
cet épisode conflictuel - qui n'est d'ailleurs ni le premier ni le dernier de
l'histoire de la monarchie française - le règne d'Hugues Capet est caractérisé
par un rôle politique décisif accordé aux clercs, évêques et abbés, comme
conseillers privilégiés du souverain dans le gouvernement du royaume. C'est
toute la doctrine diffusée par Hincmar de Reims, qui se reproduisit au fil des
règnes des premiers Capétiens, et dont l'exemple type est la collaboration
entre Louis VI et l'abbé Suger de Saint-Denis. Hugues Capet ne pouvait ignorer
que ce soutien de l'Église dans son avènement et son gouvernement était
nécessaire pour assurer la légitimité de son pouvoir et de la continuité
dynastique. De leur côté, les évêques sont convaincus que la royauté est une
autorité supérieure venant de Dieu qui est seul capable d'assurer, dans la cité
terrestre, conjointement avec l'Église, l'établissement de la paix et de
l'ordre dans la société. La prophétie dite de saint Valéry conforta la
légitimation de la dynastie capétienne. Diffusée au XIe siècle, elle avançait
qu'Hugues Capet avait bénéficié d'une apparition de l'abbé saint Valéry (†
622), qui promit au souverain que ses descendants règneraient sur le royaume
franc « jusqu'à la septième génération ». Si la prophétie était en-deçà de la
réalité (!), elle participa à renforcer la légitimité et le prestige de la
nouvelle famille royale.
Malgré
cette utilisation politique du religieux, il ne faut pas tomber dans une
interprétation excessive qui consisterait à mépriser la sincérité religieuse
d'Hugues Capet, comme de ses successeurs. En montant sur le trône en 987, en
inaugurant une nouvelle dynastique, il ne s'écartait pas de la longue tradition
monarchique du royaume franc. Il fut ainsi, malgré ses faiblesses et ses erreurs
politiques, le rénovateur du pacte de Reims. La longue continuité dynastique
des Capétiens, en dépit des heurts de l'histoire, est l'illustration la plus
probante de la valeur religieuse de l'évènement de 987.