Depuis sa divine fondation, l’Église est
appelée à répandre dans le monde entier le règne du "prince de la
Paix", du Christ Roi venu pour réconcilier les hommes avec leur Créateur
et avec leurs frères. De tous temps, la guerre s'est révélée être une des conséquences
du péché originel ; elle est le refus de la paix et de la réconciliation. Dans
toute guerre, il y a les responsables et les victimes, les agresseurs et les
agressés. Et si l'histoire nous montre que chaque partie a sa part de
responsabilité au sujet du sang versé, elle nous dit aussi qu'il existe des
guerres justes et des guerres injustes. Mais qui a le pouvoir de définir ce qui
est juste et ce qui est injuste ?
En
fondant son Église comme médiatrice entre Dieu et les hommes, le Christ a voulu
lui confier aussi un rôle de médiation entre les hommes, qui va
"au-delà" si l'on peut dire du domaine proprement théologique. La
médiation de l’Église est supra-confessionnelle. Certes, c'est au nom de la
Vérité même qui est le Christ que l’Église agit en tout et pour tout. En
intervenant pour empêcher les conflits d'éclater entre les peuples et entre les États, l’Église ne trouble pas l'équilibre des pouvoirs spirituels et temporels.
Au fond, c'est la loi morale - qui vient de la loi divine, dont elle est la
garante - que l’Église veut rappeler aux hommes, dans la neutralité la plus
totale.
Cette
neutralité n'a pas toujours été respectée comme l'histoire nous le montre. Et
pas uniquement lorsque les intérêts mêmes de l’Église étaient menacés par l'une
des parties belligérantes. La faiblesse des hommes est là. La confusion des
pouvoirs a parfois aveuglé l'esprit de certains papes, pour défendre bien
souvent des intérêts matériels. Mais ces égarements d'une époque ne doivent pas
nous faire suggérer une défaillance totale et définitive de l’Église dans le
domaine.
L'histoire
plus récente de l’Église nous montre bien au contraire que l’Église s'est
révélée et a su se faire respecter comme le médiateur le plus sûr et le plus
crédible. Malheureusement, la révolte des hommes contre Dieu a voulu prétendre
que l’Église n'avait plus son mot à dire dans le domaine. Les tenants du
laïcisme et de la sécularisation ont voulu réduire l’Église à ses compétences
religieuses de manière exclusive. C'est dans cette optique qu'on a voulu créer
- quand bien même on pourrait constater une bonne volonté originelle - un
organisme supranational et intergouvernemental pour faire office de médiateur dans
les zones de conflits. La Société des
Nations, devenue par la suite l'Organisation
des Nations Unies, a voulu clairement substituer l’Église dans son rôle de
médiation pour la paix, à l'issue de la Première Guerre mondiale.
En
cet anniversaire du commencement de la Grande
Guerre, qui marqua clairement la fin d'un monde et le commencement d'un
autre, en entraînant notamment la disparition des empires chrétiens d'Europe,
il nous faut nous pencher sur le rôle du magistère de l’Église durant ces
années sanglantes.
Deux
papes vont intervenir à cette époque : saint Pie X (1903-1914), qui mourut fin
août 1914, au tout début de la guerre ; et Benoît XV (1914-1922) qui mérite
assurément le titre de "pape de la paix"[1]. De nombreuses études ont
été publiées sur le rôle de la diplomatie du Saint-Siège pendant la Première
Guerre mondiale. Nous n'allons pas revenir sur les excellentes analyses, comme
celle de Nathalie Renoton-Beine, La
colombe et les tranchées, qui relate les tentatives de paix de Benoît XV. Toujours
est-il qu'il faut noter que les interventions nombreuses et infatigables des
Papes et de leurs nonces à cette époque ont permis, d'une certaine manière, de
"redorer le blason du Saint-Siège", bien affaibli sur le plan
international après la perte des États pontificaux.
Distinguons
dès ici deux expressions que nous pourrons utiliser : l’Église et le
Saint-Siège. Même s'il s'agit au fond de la même chose - loin de nous tout
esprit de division ou de dichotomie - il nous faut quand même faire une
distinction sur le plan historique. Lorsque nous parlerons de l’Église, il s'agira surtout de la
dimension magistérielle, des interventions des Papes adressées aux catholiques,
et d'ordre essentiellement spirituel. Lorsque nous parlerons du Saint-Siège, il s'agira de la
diplomatie, des relations avec les États, des déclarations d'ordre temporel -
quand bien même le pouvoir temporel de l’Église soit depuis de nombreuses
décennies réduit à sa plus simple expression, à savoir le futur État de la Cité
du Vatican. Au fond, toutes les interventions pontificales reviennent à la même
chose bien sûr - pas de schizophrénie ! - mais il sera intéressant de les
comparer entre elles afin de montrer le but unique des Souverains Pontifes, et
donc de la mens Ecclesiæ, puisqu'il
s'agit d'une seule et même chose : un pape n'intervient pas selon son ambition
ou sa préférence, mais selon le bien commun de l’Église et de la société toute
entière. Cette neutralité pour la paix sera bien entendu critiquée, surtout au
sein de la vieille garde anticléricale de la IIIe République, en
France, qui verra dans "l'interventionnisme" pontifical une prise de
position en faveur des Empires centraux. Quand on veut tuer son chien, on
l'accuse de la rage. Tous les moyens sont bons pour attaquer l’Église, et cela
ne date pas d'hier.
Saint
Pie X, le sacrifice pour la paix
Le
pontificat de Pie X (1903-1914) fut marqué par la division de l'Europe en deux
camps, la course aux armements et les plans d'attaque, en prévision d'un
affrontement qui se concrétiserait tôt ou tard. Il s'agit presque d'une vision
prophétique qui convainquit le pape Sarto, dès 1906, des dangers qui allaient
frapper l'Europe encore chrétienne et la plonger dans un combat fratricide. Le
Pasteur du troupeau catholique ne pouvait accepter que ses fils se déchirent
entre eux dans un tel conflit.
Dès
l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914, par
un anarchiste qui tenait entre ses mains le révolver de l'austrophobie serbe,
Pie X comprit que l'Europe allait s'enliser dans une guerre longue et violente,
ce qui n'était pas l'opinion des groupes d'alliances : "A la différence des chefs d’État et de nombreuses populations où
les sentiments nationalistes étaient exacerbés, le pape a eu le pressentiment
que la guerre qui commençait serait une guerre terrible, tandis que la plupart
des pays qui sont partis en guerre, sont partis en guerre avait la certitude de
la victoire, avec la certitude que ce serait une guerre de mouvement, avec la
certitude que ce serait une guerre brève."[2] La suite des évènements avaient montré que les grands tacticiens
de la guerre et les pontes de la politique européenne s'étaient cruellement
trompés, alors que le Pape, cet homme en blanc, fils d'un pauvre facteur de
Vénétie, vrai stratège de la paix, avait eu raison.
Les
moyens de communication sociale n'étaient pas encore assez développés pour que
le pape puisse se faire entendre rapidement aux quatre coins du monde. La
diplomatie pontificale à l'étranger était aussi affaiblie depuis plusieurs
décennies. C'est avant tout avec une vision surnaturelle que le pape a affronté
la guerre imminente puis commencée. Comment cela ? En s'offrant en sacrifice
lui-même pour la paix. Des témoins rapportent ces paroles prononcées quelques
semaines avant sa mort : "Seigneur,
prenez ma misérable vie, mais arrêtez le massacre de tous mes enfants".
Il savait que seul Dieu pouvait mettre fin à ce conflit, à condition que les
hommes acceptent de déposer les armes du combat pour prendre celles du
dialogue. Malheureusement, l'exacerbation des nationalismes, leitmotiv si répandu depuis les
révolutions de 1848, a entraîné la surdité des hommes au profit des ambitions
politiques des uns et des autres. Et finalement, comme on pouvait
l'imaginer, la guerre a fait du pape une
de ses premières victimes, puisqu'il s'est éteint le 20 août, vingt-et-un jours
après la déclaration de guerre de l'Autriche à la Serbie. On peut dire vraiment
que le choc de la guerre a précipité sa mort.
Si
le pape savait qu'une intervention auprès de la France serait vaine, étant
donné le contexte difficile suscité par la loi de séparation de l’Église et de l’État votée par les anticléricaux en 1905, il s'est tourné vers l'empereur
d'Autriche, François-Joseph Ier, ce vieillard qui régnait sur la
double-monarchie depuis soixante-six années. Malgré sa ferveur catholique et
son immense respect filial vis-à-vis du Pontife romain, le patriarche des
Habsbourg préférait renouer avec l'art de la guerre plutôt que de se lancer
dans des pourparlers que son cousin l'empereur d'Allemagne Guillaume II,
fervent luthérien au bellicisme maladif, n'aurait pas vu d'un œil favorable.
Le
2 août, Pie X publia une vibrante exhortation en latin, destinée aux catholiques du monde entier, dont
voici le texte dans son intégralité :
Alors
que très prochainement l'Europe est traînée dans la tempête d'une guerre
extrêmement horrible, dont personne ne peut prévoir les dangers, les massacres
et les conséquences sans se sentir opprimé par la peine et l'horreur, Nous ne
pouvons pas aussi ne pas être concernés ni sentir Notre âme déchirée par la
douleur la plus intense qui soit, concernant la sécurité et la vie de tant
d'individus et de peuples, pour le bien-être desquels Nous sommes suprêmement
préoccupés.
Parmi
ces bouleversements et ces dangers, Nous estimons et Nous réalisons absolument
que Notre charité paternelle et Notre ministère apostolique Nous demandent de
diriger les esprits de tous les fidèles chrétiens vers Celui de Qui seul le secours peut venir, vers le Christ,
Nous disons, le Prince de la Paix et le tout-puissant
Médiateur entre Dieu et les hommes.
Ainsi
donc, Nous exhortons les Catholiques du monde entier à se tourner vers Son
trône de grâce et de miséricorde, avant tout le clergé ; que sous l'autorité de
leurs Évêques ils instituent des supplications publiques particulières dans
leurs paroisses respectives pour que Dieu, touché par la piété de ces prières,
puisse retirer dès que possible le fléau désastreux de la guerre et inspirer
ceux qui président au bien commun à
penser des pensées de paix et non d'affliction.
Du
Vatican, le 2 août 1914
PIUS PP. X[3]
Le
Pape s'adresse ici comme pasteur de toute l’Église, en exhortant ses enfants à
la prière. Il invite les pasteurs de l’Église, prêtres et évêques, à instituer
des "supplications publiques". Il suffit de lire l'histoire de l’Église pour se rendre compte que de nombreux
papes, à des époques tragiques de l'histoire humaine, ont appelé tous les
fidèles baptisés à se tourner vers le Ciel d'où seulement pouvait provenir le
secours tant attendu. L'appel de saint Pie V (1566-1572) à la veille de la
victoire de Lépante sur les Turcs, le 7 octobre 1571, est la plus célèbre de
ces interventions. Pie X est conscient qu'il est avant tout un chef spirituel.
Et loin de tout pélagianisme, il sait que seul Dieu peut sauver la paix. De
plus, ses forces déclinant, et sentant sa fin prochaine, le pape confiait par
avance à son encore anonyme successeur les armes de la diplomatie.
Certains
reprocheront à saint Pie X de ne pas avoir saisi d'emblée les voies
diplomatiques, mais de s'être "replié" sur le plan surnaturel, comme
s'il manquait de réalisme ou de conviction, voire comme s'il voulait apporter
un soutien implicite aux Empires centraux. Il s'agit bien évidemment d'un
jugement téméraire.
En
tout cas, lorsque le conclave devant désigner son successeur au Trône de Pierre
fut réuni, la traditionnelle Oratio de
eligendo Summo Pontifice, allocution devant le Sacré-Collège qui, d'une
certaine manière, trace les lignes idéales du futur pontificat en fonction de
la conjoncture ecclésiale et internationale, insista sur la gravité de cette
guerre qui venait de commencer et la nécessité pour le Saint-Siège d'intervenir
pour tenter d'y mettre fin.
Benoît XV, la colombe face aux vautours
Le
3 septembre, fut élu, au dixième tour de scrutins, l'archevêque de Bologne, le
cardinal Jacques della Chiesa, âgé de cinquante-neuf ans. Le jeune prélat était
bien conscient de ce qu'il devrait affronter en acceptant son élection sous les
fresques de Michel-Ange. Il disposait toutefois d'un double atout qui faisait
certainement défaut à son prédécesseur dans de telles circonstances : la
jeunesse et une expérience diplomatique reconnue. En effet, ancien étudiant de
l'Académie des nobles ecclésiastiques - chargée de former les futurs diplomates
de l’Église - le nouveau Pontife avait été remarqué par le cardinal Rampolla,
le francophile secrétaire d’État de Léon XIII. Dès 1882, il fut initié aux
arcanes de la diplomatie vaticane, chargé notamment de certaines négociations
avec l'Espagne et l'Allemagne. En 1901, il fut nommé substitut de la
Secrétairerie d’État, avant de devenir archevêque de Bologne, en 1907 - il fut
consacré évêque par le pape lui-même. Créé cardinal au consistoire de mai 1914,
il était donc l'un des benjamins du Sacré-Collège lorsqu'il fut élu au
Pontificat suprême.
A peine élu, le nouveau Pontife
publia, le 8 septembre, une exhortation latine dans laquelle la guerre occupait
une place centrale[4].
Nous donnons ici les principaux extraits :
"(...) l'horrible spectacle de cette
guerre Nous a rempli l'âme d'horreur et d'amertume, en constatant qu'une grande
partie de l'Europe, dévastée par le fer et le feu, serait rougie par le sang
des chrétiens. Ayant reçu du Bon Pasteur, Jésus-Christ, le gouvernement de l’Église, Nous avons le devoir d'embrasser tous - si nombreux - ses agneaux et
ses brebis avec une charité viscérale et paternelle. Et parce que, à l'exemple
même du Seigneur, Nous devons être - et Nous le sommes - prêts à donner la vie
pour leur salut, Nous avons fermement
décidé, selon ce qui est en Notre pouvoir, de ne rien omettre pour hâter la fin
de cette calamité.
En
attendant (...) Nous ne pouvons pas ne pas rappeler les derniers mots que Notre
Prédécesseur Pie X - très saint et digne d'immortelle mémoire - déjà sur le
point de mourir, avait exprimés lors de l'éclatement même de cette guerre,
animé d'une sollicitude apostolique et d'amour pour le genre humain. De la même façon, Nous mêmes, les mains et
les yeux levés vers le ciel, nous supplierons Dieu, comme le faisait avec
tant d'ardeur Notre Prédécesseur, en exhortant et en conjurant tous les fils de l’Église, spécialement ceux qui sont les ministres du Seigneur, afin qu'ils
poursuivent, insistent et s'efforcent, soit en privé dans leur humble prière,
soit publiquement par de fréquentes supplications, d'implorer Dieu, arbitre et
dominateur de toutes choses, pour que, se souvenant de sa miséricorde, il
éloigne ce fouet de la colère par
lequel il fait justice des péchés des peuples. (...)
En
outre, Nous prions et conjurons vivement
ceux qui président aux destinées des peuples à déposer toutes leurs
dissensions, dans l'intérêt de la société humaine. Puissent-ils considérer
qu'il y a déjà trop de misères et de deuils qui accompagnent la vie mortelle,
au point qu'il ne faut pas la rendre encore plus misérable et endeuillée ; les
ruines qui ont déjà été produites suffisent, comme le sang humain qui a déjà
été répandu ; qu'ils se hâtent donc à prendre les décisions de paix et à se
tendre la main réciproquement. Ils obtiendront d'importantes récompenses de
Dieu, pour eux-mêmes et pour leurs nations ; ils se rendront hautement
méritoires pour le bien commun civil des hommes ; et envers Nous, qui voyons
cette si grave perturbation des choses entraver grandement le commencement de
Notre ministère apostolique, ils feront la chose la plus agréable et désirée.
(...)"
Benoît
XV affirme se placer clairement dans la ligne de son prédécesseur. Mais à cette
invitation urgente à la prière, adressée aux catholiques dans cette première
intervention publique de leur Pasteur, le pape ajoute une exhortation aux chefs d’État à cesser les combats et à "se
tendre la main réciproquement". Et le nouveau Pontife d'affirmer
d'emblée qu'il ne se contentera pas de ce premier message à la société humaine
toute entière : "Nous avons
fermement décidé, selon ce qui est en Notre pouvoir, de ne rien omettre pour
hâter la fin de cette calamité". Cette phrase donne le ton de sa
"ligne gouvernementale" si l'on peut dire. Il est conscient que le
premier rôle du pape, en ces heures tragiques de l'histoire, est de hâter la
paix, en intervenant directement auprès des responsables.
L'encyclique Ad beatissimi Apostolorum, publiée le 1er novembre
suivant, développera plus profondément, comme Benoît XV l'avait annoncé début
septembre, le sujet de la guerre :
Comment,
en effet, étant devenu le Père commun de tous les hommes, n'aurions-Nous pas eu
le cœur violemment déchiré au spectacle que présente l'Europe et même le monde
entier, spectacle assurément le plus affreux et le plus désolant qui se soit
jamais vu de mémoire d'homme ? (...) Des nations - les plus puissantes
et les plus considérables - sont aux prises: faut-il s'étonner si, munis
d'engins épouvantables, dus aux derniers progrès de l'art militaire, elles
visent pour ainsi dire à s'entre-détruire avec des raffinements de barbarie ?
Plus de limites aux ruines et au carnage: chaque jour la terre, inondée par de
nouveaux ruisseaux de sang, se couvre de morts et de blessés.
Le pape
constate en effet avec angoisse les "progrès" technique de l'art de
la guerre, d'une efficacité redoutablement meurtrière. Cette constatation lui
fait prévoir qu'il s'agira là du pire conflit que l'histoire ait connu
jusqu'alors.
Et tandis que des armées immenses se
battent avec acharnement, la souffrance et la douleur, tristes compagnes de la
guerre, s'abattent sur les États, sur les familles et sur les individus: chaque
jour voit s'augmenter outre mesure le nombre des veuves et des orphelins; le
commerce languit, faute de communications; les champs sont abandonnés,
l'industrie est réduite au silence; les riches sont dans la gêne, les pauvres
dans la misère, tous dans le deuil.
Benoît XV d'insister aussi sur les
dégâts collatéraux de la guerre, en particulier sur les familles et sur
l'économie. La société toute entière subit les bouleversements du conflit, et
pas seulement les forces en présence situées dans les zones de combats. Cette
insistance sur la donnée économique est sensée faire réfléchir les politiques,
si préoccupés par la prospérité de leurs États en cette Belle époque finissante qui correspond aussi encore au grand
développement de la Révolution industrielle du siècle passé.
Nous avons donc adressé d'instantes
prières aux Princes et aux gouvernants, afin que, considérant combien de larmes
et de sang la guerre a déjà fait répandre, ils se hâtent de rendre à leurs
peuples les précieux avantages de la paix. (...) Puissions-Nous
être entendu par ceux qui ont en mains les destinées des peuples ! Il y a, sans
nul doute, d'autres voies, d'autres moyens, qui permettraient de réparer les
droits, s'il y en a eu de lésés. Qu'ils y recourent, en suspendant leurs
hostilités, animés de droiture et de bonne volonté. C'est Notre amour pour eux
et pour toutes les nations, qui Nous fait parler ainsi, nullement Notre propre
intérêt. Qu'ils ne laissent pas tomber dans le vide cette prière d'un Père et
d'un ami.
Conscient encore une fois de l'autorité morale sur les gouvernants qui
est intrinsèquement attachée au Souverain Pontificat - matérialisée par la
troisième couronne de la tiare pontificale ajoutée certainement sous le
pontificat de Benoît XII, au XIVe siècle[5] - le nouveau pape
s'adresse directement aux chefs d’État en les rappelant à leur obligation de
maintenir leurs peuples dans la paix. Et de rappeler qu'à cette fin, il n'agit
pas en vue de son propre intérêt, mais comme "père et ami", pour le bien de tous.
Nous appelons de tous nos vœux, en faveur
de la société humaine et en faveur de l’Église, la fin de cette guerre si
désastreuse; en faveur de la société humaine, afin qu'une fois la paix
rétablie, elle progresse vraiment dans toute culture civile et humaine; en
faveur l’Église de Jésus-Christ, pour que, libre enfin de toute entrave, elle
aille sur tous les rivages et en toutes les parties du monde apporter aux
hommes le secours et le salut.
Benoît XV conclut cette partie de
l'encyclique, en rappelant tous les avantages de la paix, tant pour la société
civile que pour la société religieuse. Dans la suite du document - que nous ne
commenterons pas ici - le pontife cherchera à établir les causes de ces
déséquilibres qui ont fragilisé l'Occident chrétien. Il pointe du doigt, à la
suite de ses prédécesseurs, sur le libéralisme, fondé dans les idées de la
Révolution française, et notamment sur les attaques dont l’Église a été victime
de la part des tenants de cette idéologie. D'où une attention particulière sur
un des points névralgiques - qui pourrait être considéré comme une revendication
légitime à part entière, au même titre que les revendications territoriales des
uns et des autres participants au conflit - à savoir la question romaine. Depuis 1870, le pape est en effet
"prisonnier" du Vatican, suite à la prise de Rome par les armées piémontaises
dans le cadre du Risorgimento. La
liberté de l’Église, à travers celle de son chef, s'en est retrouvée
profondément affectée.
Le
problème de la neutralité
Tout au long des années du conflit
mondial, Benoît XV interviendra, à travers ses déclarations officielles, ou par
le biais de ses représentants dans les différents pays concernés par la guerre.
Toutefois, ces interventions et tentatives de tractation seront toujours faites
dans un esprit de véritable neutralité : le Saint-Siège ne prend position en
faveur d'aucune partie belligérante.
En
tant de "vicaire de Celui qui, en
naissant, s'est fait l'annonciateur de la paix (foriero della pace) aux peuples humains"[6], le pape désire la paix
totale, non pas une paix factice qui verrait triompher les avantages des plus
forts au détriment de ceux des plus faibles, qui légitimerait en quelque sorte
les revendications des vainqueurs au détriment de celles - peut-être non moins
légitimes - des vaincus. C'est pour cela que Benoît XV et sa diplomatie
resteront dans la neutralité la plus totale, ce qui ne sera évidemment pas du
goût des États en guerre.
Dans
une intervention en présence des Cardinaux[7], le pape rappelle qu'il ne
peut pas faire plus que d'appeler chacun à la paix, parce que "faire aujourd'hui plus que cela ne
Nous est pas permis, en vertu de la charge apostolique". Le pape doit
s'impliquer de manière "lointaine", sans pénétrer dans les arcanes de
la politique des États, en vertu de l'équilibre des pouvoirs : "impliquer l'autorité pontificale dans
les querelles mêmes des belligérants ne serait en vérité ni convenable ni
utile". Et de rappeler que le Siège apostolique "doit se maintenir parfaitement impartial", ce qui est
sensé être (théoriquement) reconnu par ce qu'on pourrait appeler
anachroniquement la "communauté internationale". En effet, le Pontife
romain étant le père de tous les hommes, il "doit
embrasser dans un même sentiment de charité tous les combattants",
sachant d'autant plus qu'il y a des soldats catholiques dans l'un et l'autre
camp. La neutralité est donc légitimée en vertu de son autorité morale comme en
vertu de son autorité spirituelle : elle dépasse la seule "sphère" catholique.
Si cette neutralité était rompue, il va de soi que l’Église en serait la
première victime : "cela créerait
des aversions et des haines envers la religion et exposerait à de graves
troubles la tranquillité même et la concorde interne de l’Église".
Si le pape ne prend position en
faveur d'aucun camp, il doit cependant condamner les exactions perpétrées.
Ainsi, dans ce même discours aux cardinaux, il manifeste son opposition à
l'agression de la Belgique, pourtant neutre dans le conflit, et rappelle qu'il
a écrit une lettre de soutien au cardinal Mercier, archevêque de Malines, le
grand défenseur de la paix dans le royaume[8]. Le 28 juillet 1915,
Benoît XV lancera aux responsables politiques un véritable cri de paix :
Au nom du Dieu très saint, au nom de notre
Père céleste et Seigneur, par le Sang précieux de Jésus, qui a racheté
l’humanité, Nous vous conjurons, ô Vous que la divine Providence a préposés au
gouvernement des nations belligérantes, de mettre finalement un terme à cette
horrible boucherie qui, depuis une année, déshonore l’Europe[9].
Malheureusement, cette neutralité
restera incomprise dans l'un ou l'autre camp. Du côté de l'Entente, Benoît XV
sera accusé de germanophilie. On osera même dire qu'il n'a pas condamné
expressément l'invasion de la Belgique suite au plan Schlieffen. L'anticlérical
Georges Clémenceau, président du Conseil, le traitera même de "pape
boche". Ces accusations sont absolument fausses bien évidemment[10]. D'une part, Benoît XV
n'a jamais apporté un soutien explicite à la Prusse, cela va de soi ; d'autre
part, il a apporté son soutien aux populations des pays alliés et des pays
neutres victimes des bombardements et de l'occupation allemande. Il suffit de
lire la lettre envoyée au cardinal Luçon, archevêque de Reims[11], pour montrer le soutien
qu'il désirait apporter aux populations victimes des opérations militaires. Il
écrira même au cardinal Hartmann, archevêque de Cologne, pour constater avec
soulagement que l'empereur Guillaume II, ait accepté que le sort des prêtres
français et belges, prisonniers de guerre, soit adouci par les autorités
allemandes[12].
Pendant ce temps, Charles Maurras défendra l'action bénéfique du pape au
service de la paix, en réclamant la restauration des relations diplomatiques
entre la France et le Saint-Siège, qui avaient été rompues depuis 1904.
Du
côté des puissances centrales, l'incompréhension sera aussi manifeste - sans
être d'ordre idéologique comme en France. Ainsi, le général Erich Ludendorff,
chef de l'état major allemand, verra en Benoît XV le "pape français".
Les chancelleries allemande et autrichienne ne comprendront pas pourquoi le
pape ne prendra pas position en leur faveur, étant donné que ces pays était
favorables au catholicisme, alors que la France était gouvernée depuis bien
longtemps par les anticléricaux, et que l'Angleterre asservissait les
populations catholiques d'Irlande[13]. Il s'agit là d'un faux
argument. En effet, il ne s'agit pas là d'une guerre ayant pour motif une
question religieuse - comme on le verra plus tard au Mexique en particulier,
lors des soulèvements des Cristeros.
Un
épisode fut particulièrement clair dans la manifestation de cette neutralité du
Saint-Siège. Ce fut lors de la mort de l'empereur François-Joseph d'Autriche, le
21 novembre 1916. A la mort d'un souverain catholique, la tradition veut que le
Pape célèbre solennellement une chapelle papale pour le repos de son âme. Grave
dilemme en effet : si le défunt empereur méritait, comme tout fidèle
catholique, de recevoir les honneurs de l’Église, une telle célébration
resterait incomprise de la part des membres de l'Entente - quand bien même le
seul motif religieux serait avancé. Pour trancher le débat, Benoît XV décida de
suspendre les cérémonies pour tout souverain à la Sixtine durant le temps de la
guerre[14]. Une cérémonie plus
intime fut cependant célébrée dans une autre chapelle du Vatican. Une sage
décision.
Tout cela n'empêcha pas le pape de
continuer à œuvrer en faveur de pourparlers de paix entre les parties
belligérantes. Mais ces tentatives échoueront faute d'interlocuteurs persuadés
de la nécessité d'une paix imminente. Malgré tout, les initiatives caritatives
du Saint-Siège connaîtront un grand succès. Par l'intermédiaire de ses nonces,
en particulier Mgr Pacelli, nonce en Bavière - futur pape Pie XII - les
prisonniers de guerre et les populations civiles reçurent de grandes consolations,
qui furent accueillies positivement par les deux camps. Grâce aux négociations
pontificales, 30.000 prisonniers blessés pourront gagner la Suisse pour y
recevoir des soins.
Le
tournant de 1917 et les calomnies
Si l'année 1917 marque un tournant
dans l'évolution du conflit, notamment avec l'entrée en guerre des États-Unis
aux côtés de l'Entente (6 avril 1917), elle marque aussi un tournant dans
l'activité diplomatique internationale en faveur de la paix.
Benoît
XV, loin d'être lassé par le silence méfiant des deux camps, lança de nouveau
un grand appel, le 1er août 1917, adressé directement aux "chefs des peuples belligérants".
Il y rappelle tout d'abord la neutralité du Saint-Siège, l'activité caritative
en faveur de tous "sans acception de
personnes, sans distinction de nationalité ou de religion"[15], et l'action incessante
de la Papauté en faveur de la paix. Après trois années de sanglants combats, le
pape réaffirme avec vigueur que la question de la paix est plus que vitale : "Le monde civilisé devra-t-il donc
n’être plus qu’un champ de mort? Et l’Europe, si glorieuse et si florissante,
va-t-elle donc, comme entraînée par une folie universelle, courir à l’abîme et
prêter la main à son propre suicide ?"
Face
aux accusations dont il était conscient d'être l'objet, il rappelle l'absolue
neutralité de son action, en vertu de sa charge apostolique : "Nous qui n’avons aucune visée
politique particulière, qui n’écoutons les suggestions ou les intérêts d’aucune
des parties belligérantes, mais uniquement poussé par le sentiment de Notre
devoir suprême de Père commun des fidèles". Il explique toutefois
qu'il souhaite donner un nouvel élan à son action en faveur de la paix : "Mais pour ne plus Nous renfermer dans
des termes généraux, comme les circonstances Nous l’avaient conseillé par le
passé, Nous voulons maintenant descendre à des propositions plus concrètes et
pratiques".
Et le
pape de proposer aux responsables politiques une série de points qui servirait
de trame à un futur traité de paix. En cela le pape anticipe le président
américain Wilson et ses célèbres "quatorze points", énoncés lors d'un
discours au Congrès américain de janvier 1918. Benoît XV préconisait tout
d'abord l'institution d'un droit international, par l'instauration de règles
pour la régulation des armements, et la mise en place d'un arbitrage
international pour gérer les éventuels conflits. En cela, il faut dire le pape
a posé les jalons de la Société des
Nations. Ensuite, sur le plan économique, la liberté de communication
devait être préconisée et défendue face à toute forme de blocus, qui
asphyxierait les économies des États et le bien-être des peuples. Quant à la
question des "réparations", qui sera si grave de conséquences pour
les vaincus de 1918 et pour l'équilibre futur de l'Europe, le Souverain Pontife
invite les parties à "une remise
entière et réciproque", sauf pour des cas particuliers à peser "avec justice et équité". En ce qui concerne les questions
territoriales, outre l'évacuation des territoires occupés, le pape invite
chaque État à tenir compte "des
aspirations des peuples", en vue du bien commun, et non pour
satisfaire à n'importe quelle revendication des mouvements nationalistes. Il
considère en particulier ici la question brûlante des Balkans, de la Pologne et
de l'Arménie.
En
lançant ce "programme", Benoît XV voulait hâter la fin de ce qui
apparaissait "de plus en plus comme
un massacre inutile".
Malheureusement,
comme on pouvait s'y attendre, la réaction des deux camps fut négative. Du côté
de l'Entente, la propagande favorable à la guerre, véhiculée par la plupart des
journaux, accuse le pape de saper le moral des troupes, preuve nouvelle de sa
prétendue germanophilie. Clémenceau parlera de la paix bénédictine comme d'une
"paix allemande". Même au sein du clergé français, des voix
nationalistes s'élèveront contre les propositions pontificales - ce fut le cas
du R. P. Sertillanges, lors d'une prédication à Notre-Dame de Paris, en
décembre 1917. Du côté des puissances centrales, la Prusse refusera de céder
sur la question belge. L'échec de ce projet pontifical sera source d'une grande
affliction pour le pape de la paix, ce dont il témoignera dans son discours au
Sacré-Collège de Noël 1917 : "Nous
avons été affligés d'une manière particulière, non pour une satisfaction
manquée de l'âme, mais pour la tranquillité retardée des nations, d'avoir vu
tomber dans le vide l'invitation que Nous avons faite aux Chefs des peuples
belligérants"[16]. Et d'ajouter, avec un
regard surnaturel sur sa fonction : "Quand
donc Nous étions regardés, soit comme indignes d'être écoutés, soit comme
n'étant pas épargné de suspicion et de calomnie, Nous n'avons pas pu ne pas
reconnaître en Nous le signum cui contradicetur", le signe de contradiction à l'image du Christ Lui-même au
milieu des hommes de son temps. Le pape savait bien en effet, de par les
remontées de ses représentants, ce que disaient de lui les politiques et les
médias dans certains pays. En Italie aussi les calomnies circuleront contre
lui, ce qui poussa le pape à écrire une lettre de protestation au cardinal
Ferrari, archevêque de Milan[17]. Benoît XV s'afflige de
ce qu'il entend : "Par les campagnes
et par les villages, où règne une grande tristesse et donc plus digne de
considération et de respect, on dit que Nous avons voulu la guerre ; dans les
villes cependant se répand la voix que Nous voulons la paix, mais une paix
injuste, avantageuse seulement pour un des groupes belligérants". Non contents
d'accuser le pape d'être un partisan des puissances centrales, certains oseront
donc même l'accuser au fond d'être le premier responsable de la guerre...
Quoiqu'il en soit, l'échec de cette
tentative pourtant plus que sérieuse et réaliste en faveur de la paix, et la
campagne hostile dont il fut victime, n'empêchèrent pas Benoît XV de continuer
ses appels à la paix et son œuvre de bienfaisance auprès des soldats et des
civils.
Benoît
XV, prophète de l'après-guerre ?
Les armistices de 1918 seront la
source d'un grand soulagement pour Benoît XV. Dans son allocution de Noël 1918
au Sacré-Collège, il disait : "Aujourd'hui
Notre paternité Nous fait intimement exulter des biens que nous espérons de la
paix retrouvée". Évidemment,
les armistices de 1918 et les traités de paix de 1919-1920 ne tiendront pas
compte des propositions pontificales d'août 1917. A la demande de l'Italie -
sans doute soucieuse d'éviter que la question
romaine soit mise sur la table des négociations - le Saint-Siège fut mis à
l'écart des négociations.
Sans
revenir sur les résolutions établies par les vainqueurs, il nous faut
mentionner un texte important, qui montre la vision pessimiste de Benoît XV sur
celles-ci. Il s'agit de l'encyclique Pacem,
Dei munus pulcherrimum, publiée en 1920[18]. En citant pour commencer
saint Augustin, le pape salue évidemment la paix retrouvée, qu'il appelait à
cor et à cri depuis son élection au Trône de Pierre : "la paix, qui durant plus de quatre années a été implorée par les vœux des bons, par les prières des
fidèles et par les larmes des mères, a finalement commencé à resplendir sur les
peuples, et Nous nous en réjouissons parmi les premiers".
Mais
tout de suite après, le pape manifeste son inquiétude par rapport aux traités
qui venaient d'être signés : "Si
presque partout on a mis, en quelque façon, un terme à la guerre, si l'on a
signé des traités de paix, on n'a pas extirpé les germes des anciennes
discordes; et vous ne doutez pas, Vénérables Frères, que toute paix est instable,
tous les traités sont inefficaces, en dépit des longues et laborieuses
négociations de leurs auteurs et du caractère sacré des signatures échangées,
tant qu'une réconciliation inspirée par la charité mutuelle n'apaise point les
haines et les inimitiés." En effet, Benoît XV s'inquiète à juste titre
du traitement infligé aux vaincus, sans en faire une mention explicite dans son
encyclique. Selon l'enseignement de l’Église, une paix signée doit sceller
avant tout la réconciliation entre les peuples, elle doit augurer un avenir
meilleur et l'oubli des querelles et des rancunes d'hier. Le pape en est
conscient et ose affirmer implicitement ici que les accords de 1919-1920 ne
semblent pas aller en ce sens.
Il
ajoute : "Il est superflu de
démontrer longuement que la société humaine subirait les plus graves dommages
si la signature de la paix laissait subsister de sourdes haines et des rapports
hostiles entre les nations." Les haines furent sourdes en effet, et le
poids des "réparations" ajouté à une humiliation exagérée, suscitera
dans l'esprit du peuple allemand un sentiment logique de vengeance face à ce
qu'ils qualifieront de Diktat des
puissances alliées. Et nous savons a
posteriori jusqu'où cela mènera, ce que ne pouvaient prévoir les
signataires de Versailles : une Allemagne ruinée et menacée mettant sa
confiance en un illustre inconnu érigé par l'opinion en deus ex machina, et qui conduira le pays d'une prospérité retrouvée
à un nouveau désastre universel. Et quel désastre ! Ainsi, Benoît XV fut d'une
certaine manière prophète de ces dangers futurs, qui devaient résulter en toute
logique des rancunes et des blessures non refermées du passé. Or une paix, pour
être authentique, doit panser les blessures, quelles qu'elles soient, pour
faire recouvrer la santé. Cela passe par le pardon mutuel, comme l'enseigne
cette demande de la prière dominicale, rappelée par le pape : "Pardonnez-nous nos offenses comme nous
pardonnons à ceux qui nous ont offensés".
Ainsi,
pour Benoît XV, malgré les erreurs tactiques des belligérants, si l'on veut
retrouver une véritable paix, cette paix doit partir de la base. Et le pape
d'inviter les évêques et les prêtres à "à
exhorter tous les fidèles (...) à l'abandon des haines et au pardon mutuel des
injustices", mais aussi à multiplier les actions charitables envers
ces autres victimes de la guerre que sont les blessés, les veuves et les
orphelins. Le pape aussi, en reconnaissant l'existence de la Société des
Nations, rappelle que l’Église accepte de participer à une collaboration
étroite en vue de la paix dans les situations futures : "Aux nations unies dans une ligue fondée sur la loi chrétienne l’Église sera fidèle à prêter son concours actif et empressé pour toutes leurs
entreprises inspirées par la justice et la charité." Malheureusement,
nous le savons, et nous le voyons en particulier aujourd'hui, cette
collaboration sera souvent méprisée par la communauté internationale.
En outre, Benoît XV avait des
raisons de s'inquiéter, en constatant les troubles qui éclatèrent dans
différents pays, et dont l’Église catholique fut particulièrement menacée. Il
s'agit surtout de ces mouvements sociaux de tendance marxiste, sorte
d'importation de la Révolution bolchévique en Europe, qui frappèrent
l'Allemagne en particulier[19] ; mais aussi des
tentatives de sécularisation des biens ecclésiastiques dans l'ancien Empire
austro-hongrois. Le pape s'en plaignit notamment auprès de l'archevêque
d'Esztergom, primat de Hongrie[20], le félicitant pour son
courage et sa fermeté face aux "gouvernants
insensés (qui) se proposaient de détruire ensemble le vieil ordre social et la
foi ancestrale" des Hongrois.
*
Cette brève analyse de l'implication
des papes et du Saint-Siège pendant la Première guerre mondiale nous rappelle
le rôle éminent joué par l’Église au service de la paix dans le monde. Depuis
cette époque troublée, par la voix de ses pasteurs, elle ne cesse de proclamer
le don suprême de la paix à la face des peuples qui se déchirent entre eux.
L'action de saint Pie X et de Benoît XV annonce celle de leurs successeurs sur
le Trône de Pierre. Elle annonce l'importance croissante prise par le
Saint-Siège dans la résolution des conflits et au service de la paix entre les
peuples. En ce début du XXIe siècle, la situation n'a pas changé, et
si le fracas des armes se répand sinistrement un peu partout sur la terre, la
Papauté n'oublie pas le rôle capital qu'elle a à jouer au service du bien
commun de l'humanité, qui ne peut se réaliser que dans la paix, "ce magnifique don de Dieu qui, dit
saint Augustin, « est, parmi les
biens passagers de la terre, le plus doux dont on puisse parler, le plus
désirable qu'on puisse convoiter, le meilleur qu'on puisse trouver »"[21].
[1] Il est
à remarquer d'ailleurs que leurs deux successeurs immédiats interviendront
presque "symétriquement" dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale
: Pie XI (1922-1939), mort peu avant la déclaration de guerre ; et le Vénérable
Pie XII (1939-1958) dont la figure a été et demeure honteusement salie par les
tenants d'une certaine historiographie anticléricale...
[2] P. Bernard Adura,
Président du Comité pontifical des sciences historiques, entretien sur Radio
Vatican (27.VI.2014)
[3] S. Pie X, Exhortation Dum Europa (2.VIII.1914), publiée dans L'Osservatore romano, 3.VIII.1914.
[4] Benoît XV, Exhortation Ubi
primum (8.IX.1914), publiée dans L'Osservatore
romano, 9.IX.1914.
[5] Il s'agit en tout cas
d'une des interprétations qui sont données à la triple couronne.
[6] Benoît XV, Discours à l'occasion de la première rencontre
avec le Collège cardinalice (24.XII.1914)
[7] Benoît XV, Allocution consistoriale Convocare vos au Collège cardinalice (22.I.1915)
[8] Lettre au cardinal
Mercier, archevêque de Malines, sur les effets provoqués par la guerre au
peuple belge (8.XII.1914)
[9] Benoît XV, Exhortation apostolique Allorchè fummo chiamati aux peuples belligérants et à leurs chefs
(28.VII.1915)
[10] Quoiqu'en pense une
historienne de tendance anticléricale, Annie Lacroix-Riz, bien connue pour ses
articles hostiles à l'Eglise, concernant les pontificats de Benoît XV et de Pie
XII en particulier.
[11] Lettre au cardinal
Luçon, archevêque de Reims, en signe de participation à la douleur de la
population de Reims occupée par les troupes allemandes (16.X.1914)
[12] Lettre au cardinal
Hartmann, archevêque de Cologne (18.X.1914)
[13] Schönburg, ambassadeur
d'Autriche auprès du Saint-Siège, écrira au baron Burian, ministre des Affaires
étrangères de l'Empire austro-hongrois (1.V.1916) : "le catholicisme chez
les puissances centrales est plus en sûreté que chez les orthodoxes, anglicans,
athées, et surtout [...] chez les francs-maçons de la partie adverse".
[14] Renoton-Beine (Nathalie), La colombe et les tranchées, éd. Cerf, p. 64.
[15] Benoît XV, Exhortation apostolique Dès le début aux chefs des peuples belligérants (1.VIII.1917).
[16] Benoît XV, Discours au Sacré-Collège des Cardinaux lors de
la Vigile de Noël (24.XII.1917)
[17] Lettre Maximas inter au cardinal Ferrari,
archevêque de Milan, et aux autres évêques de la région lombarde (22.V.1918)
[18] Benoît XV, Lettre encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum sur la paix et la réconciliation des
chrétiens (23.V.1920)
[19] Et dont le nonce à
Berlin, Mgr Pacelli, fut directement menacé, lors de l'attaque de la nonciature
par un groupuscule spartakiste, le 21 avril 1918. Cf. Lehnert (Mère Pascalina), Pie XII, mon privilège fut de le servir, éd. Téqui, 1985.
[20] Benoît XV, Lettres Multiplices
quidem (12.III.1919) et Quoad
Hungaria (11.IX.1919) au cardinal Czernoch, archevêque d'Esztergom.
[21] Lettre encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum