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Jean Ier le Posthume, basilique de Saint-Denis |
La royauté française s'est construite
sur la succession de trois dynasties (Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens)
et sur la christianisation - et la stabilisation conséquente - des coutumes
germaniques. Les troubles politiques de la fin de la période carolingienne (IXe
et Xe siècles) ont entraîné un affaiblissement profond et
durable du pouvoir monarchique, manifesté par la mise en place progressive du
système féodal et le morcellement de l'autorité. Les premiers Capétiens ont eu à cœur de
rétablir l'autorité royale, légitimée par l'onction du sacre. Il fallait aussi
établir des règles claires et définitives pour empêcher une contestation de
cette autorité. Hugues Capet a été élu par les grands du Royaume en 987. Il
fallait pérenniser la nouvelle dynastie qui venait d'accéder sur le trône.
Comme
le soulignait Franck Bouscau, éminent professeur d'histoire du droit à
l'université de Rennes-I, il était nécessaire de mettre en place des règles de
dévolution de la couronne. Ces règles, ce sont les lois fondamentales,
distinctes des autres lois en ce qu'elles ne peuvent être modifiées par la
volonté des hommes dès lors qu'elles ont été entérinées. Quatre principes
majeurs vont être développés par les juristes et inscrits dans ce socle
juridique de la monarchie française : l'hérédité de la dignité monarchique
(confirmée par le sacre), la masculinité (sur laquelle nous allons nous
pencher), la distinction entre la personne du Roi et l'État (notamment la
notion d'indisponibilité de la Couronne) et l'appartenance à l'Église
catholique (après les guerres de Religion au XVIe siècle).
La
masculinité est en fin de compte une
précision de l'hérédité. Auparavant,
une première précision avait été donnée. En effet, pour assurer une continuité
normale, sans heurts, du principe monarchique à la mort d'un souverain, il
fallait éviter une division de l'autorité assortie d'un partage territorial -
coutume germanique qui fut l'une des principales causes de l'affaiblissement de
la monarchie carolingienne, à la suite du partage de Verdun (843) entre les
fils de Louis le Pieux. C'est ainsi que le droit d'aînesse ou primogéniture a été imposé dès les
premiers Capétiens : seul le fils aîné du roi est appelé à lui succéder comme
seul et unique souverain. D'ailleurs, pour garantir la primogéniture et
consolider leur dynastie, les premiers Capétiens ont choisi d'associer leur
fils aîné au trône. Ce dernier était donc couronné et sacré du vivant de son père
et pouvait ainsi lui succéder directement, sans transition. Un usage qui
anticipe l'adage fondamental : « Le roi est mort, vive le roi ! » Cette coutume
a été abandonnée par Philippe Auguste (1165-1223), qui n'associa pas son fils
Louis VIII (1187-1226) au trône.
Tout
aurait pu continuer logiquement selon cette loi de la primogéniture jusqu'à ce
fatidique 5 juin 1316. Après plus de trois siècles de succession masculine
ininterrompue - on parla à ce propos de « miracle capétien » - le roi Louis X
le Hutin (1289-1316) meurt. Il laisse de son premier mariage avec Marguerite de
Bourgogne, l'une des princesses compromises dans l'affaire de la tour de Nesle,
une fille Jeanne (1311-1349) qui, en raison des déboires de sa mère, était
considérée comme bâtarde par le Hutin. En secondes noces, Louis X avait épousé
Clémence de Hongrie, qui s'est trouvée enceinte lorsque son époux mourut. Une
première dans l'histoire du royaume, doublée d'un autre évènement, la longue
vacance du siège pontifical depuis la mort du pape Clément V en avril 1314. Une
régence est instaurée au profit de Philippe de France (1293-1322), comte de
Poitiers. Jean Ier naît le 14 novembre 1316 et meurt cinq jours plus tard.
Une lente composition
juridique de la primogéniture masculine
Entretemps,
un important et urgent travail juridique a été réalisé par les juristes du
royaume, à la demande de Philippe de Poitiers. Si l'enfant à naître était un
garçon, la continuité monarchique était assurée sans contestation. S'il
s'agissait d'une fille, qui serait l'héritier du trône ? A priori, il s'agirait
de Jeanne de Navarre, la fille du premier mariage de Louis X, soutenue par ses
parents de Bourgogne, dont la légitimité de la naissance avait pourtant été
contestée par le défunt monarque. Bref, une femme pouvait-elle succéder au
trône des lys ?
C'est
alors que le principe de masculinité fut introduit dans la loi fondamentale de
la succession. Il s'agit d'une ancienne coutume en usage chez les Francs
saliens, dont furent issus les rois mérovingiens, coutume exhumée et connue
depuis sous le nom de « loi salique ». Sans entrer dans les détails de ce qui
est au fond un corpus juridique portant sur des questions diverses et variées,
il faut insister ici sur le principe de la primogéniture masculine que la loi
dite salique, introduite et précisée à partir de 1316 comme loi de succession
au trône de France, imposa à la monarchie française. Ce sont les évènements qui
ont suscité ce choix politique pour le bien de la couronne de France et l'unité
et la sécurité du royaume. Il ne s'agit donc pas d'un principe auparavant
incontestable et incontesté - une sorte de « dogme » politique - mais une
coutume qui s'est imposée de soi comme loi fondamentale du royaume.
Plusieurs
adages anciens, reflétant le langage du temps, ont été avancés par les légistes
pour imposer l'exclusion des femmes : « Le royaume ne tombe point en quenouille
», « Les lys ne filent point » (pour reprendre de manière accommodatice une
citation de l’Évangile, cf. Mt VI, 28), etc. Ce ne sont évidemment pas des
arguments machistes - halte à l'anachronisme ! Comme le souligne Franck
Bouscau, la dimension sacerdotale - ou quasi-sacerdotale - du trône de France
induisait une impossibilité pour les femmes de recevoir l'onction sacrale. «
L'évêque du dehors » ne pouvait pas être une femme ! C'est ainsi véritablement
l'exception française du sacre - bien que le sacre ait été diffusé aussi dans
d'autres royaumes, mais selon des rituels distincts du rituel franc - qui
justifie l'exclusion des femmes. En fin de compte, le régent détermine qu'en
cas de naissance d'une fille, la régence se poursuivrait jusqu'à la majorité de
Jeanne de Navarre, qui recevrait alors la couronne de France.
Mais
à la mort du petit roi Jean, Philippe est proclamé roi, malgré les
protestations du duc Eudes IV de Bourgogne et de sa mère, Agnès de France,
fille de saint Louis. Il est sacré en janvier 1317 à Reims. Pour éviter une
contestation durable parmi les grands du royaume, il fait réunir une assemblée
de prélats, docteurs et grands seigneurs en février suivant. Ceux-ci finissent
par s'accorder sur l'impossibilité pour les femmes d'accéder au trône de
France. En mars, à la suite d'un accord entre Philippe V et Eudes de Bourgogne,
la petite Jeanne de Navarre renonce à d'éventuelles prétentions.
La
stratégie juridique de Philippe V a fini par l'emporter. Lui-même meurt sans
héritier mâle survivant, en 1322 ; son frère Charles IV (1294-1328) lui
succède. Il s'agit là d'une deuxième exclusion, qui frappe cette fois les
quatre filles de Philippe V. Mais à la mort de Charles, le 1er
février 1328, la situation de 1316 est répétée : son épouse, Jeanne d'Évreux,
est enceinte. Quant à son plus proche parent mâle, il s'agit de son cousin
germain, Philippe de Valois (1293-1350). Une régence est instaurée en faveur de
ce dernier. Le 1er avril, la reine Jeanne accouche d'une fille,
Blanche. Qui devait alors devenir le nouveau roi ? Le parent mâle le plus proche - en l'occurrence le roi
d'Angleterre, Édouard III, neveu de Charles IV - ou le plus proche parent mâle par les mâles - à savoir Philippe de
Valois. En fin de compte, Isabelle de France, mère d'Édouard III, avait-elle
plus transmettre les droits de la couronne de France à son fils ?
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Édouard III d'Angleterre et Philippe VI de France |
Les
dignitaires du royaume réunis en assemblée décrétèrent qu'une « femme, et par
conséquent son fils, ne peut par coutume succéder au royaume de France. »
C'était surtout là le moyen d'éviter que la couronne de France ne tombe entre
les mains d'un souverain étranger - quoique, en l'occurrence, vassal du roi de
France pour le duché d'Aquitaine. Philippe VI fut reconnu roi et sacré le 29
mai 1328. La suite, nous la connaissons, ce sera le refus d'Édouard III de
prêter l'hommage lige à son cousin et son intention, en 1337, de revendiquer la
couronne de France. Une guerre qui durera plus de cent ans s'ensuivit...
«
Quoi qu’il en soit, souligne Franck Bouscau, l’autorité de la coutume,
appuyée sur plusieurs applications au cours du premier tiers du XIVe
siècle, se suffit à elle-même, et il en résulte que les règles de dévolution de
la couronne sont désormais fixées : de mâle en mâle, par ordre de
primogéniture, et à l’exclusion des femmes et de leurs descendants. » Le
principe de la collatéralité masculine
avait fini par l'emporter.
Les évènements de 1316 ont constitué un véritable
précédent dans l'histoire du royaume de France et ont suscité la mise en œuvre
d'une procédure juridique nécessaire, à travers des tâtonnements
compréhensibles, qui ne sera immédiatement mis noir sur blanc, en termes
définitifs. Malgré les arguments solides formés par les opposants à cette
coutume, celle-ci s'est finalement imposée comme légitime pour garantir la
paix, l'unité et la sécurité du royaume de France. Une coutume qui demeure
inaliénable, quoiqu'en pensent les détracteurs du légitimisme successoral sur
la base des prétendues renonciations d'Utrecht... Mais ce sujet sera pour une
autre fois !