mercredi 20 janvier 2016

Van Dyck et l'art du portrait (1)

Le grand peintre van Dyck, malgré sa courte vie, reste l'un des plus fameux artistes du baroque flamand. Avec Rubens, il est une référence incontournable de la peinture au XVIIe siècle. Membre éminent de la guilde de Saint-Luc, corporation d'artistes basée à Anvers - dont les principaux représentants furent les Brueghel, Rubens, Frans Snyders, Jan Wildens - il s'attacha à donner une dimension européenne à sa touche personnelle en matière de peinture et de gravure. Nous tacherons d'illustrer les talents de ce jeune artiste à travers des exemples de l'art du portrait.

Van Dyck, entre Rubens et le Titien


Antoon van Dyck, né en 1599 à Anvers, fils d'un marchand de soie de la grande ville flamande, se fit remarquer très tôt pour ses dons artistiques. Dès l'âge de dix ans, il se mit à l'école de Hendrick van Balen (1572-1632), qui était profondément marqué par ses voyages en Italie qui le mirent au contact de la peinture italienne. Ce dernier lui enseigna les rudiments de la peinture avant que le jeune Antoon ne se décidât à créer un atelier aux côtés de Jan Brueghel (1601-1678), le petit dernier de la grande dynastie. A peine âgé de quinze ans, van Dyck donnait tous les espoirs d'une carrière prodigieuse, en raison de ses talents précoces, comme en témoigne cet Autoportrait, réalisé en 1614. Ce regard à la fois décidé et imaginatif manifeste déjà le style particulier, réfléchi et personnel, de notre peintre. Issu d'une famille catholique marquée par la dévotion (plusieurs de ses sœurs entreront au couvent), van Dyck était un chrétien comme Rubens, mais aussi un homme d'une profonde sensibilité, qu'il reproduira au fil de ses œuvres.

A. van Dyck, Autoportrait (v. 1613-1614), Académie des beaux-arts, Wien

 En 1618, alors qu'il n'a que dix-neuf ans, il est admis dans la Guilde de Saint-Luc, où il se rapprocha de Peter Paul Rubens (1577-1640), déjà dans les sommets de sa carrière, peintre officiel de la Cour de Bruxelles, auprès des archiducs. Il avait fondé peu auparavant une école à Anvers pour confier aux jeunes artistes la réalisation d'une partie de ses commandes. Assistant privilégié du maître, Antoon était considéré par lui comme "le meilleur de ses élèves". Rubens, qui reçut ponctuellement des missions diplomatiques, favorisa la notoriété européenne de son collaborateur. En 1620, il partit pour Londres, à la demande du duc de Buckingham, afin d'y exécuter plusieurs œuvres destinées au roi Jacques, dont un portrait du souverain conservé au château de Windsor. C'est au cours de ce séjour anglais que van Dyck découvrit plusieurs œuvres du Titien, le grand maître de la Renaissance italienne. Il s'inspirera de la subtilité de ce peintre dans la suite de ses œuvres. L'année suivante, il fut envoyé par Rubens en Italie, pour parfaire sa connaissance des Italiens. 

A Gênes, il rencontra ses compatriotes, les frères de Wael, fils d'un ancien doyen de la guilde anversoise. Il se fit remarquer par la grâce de ses manières et la distinction de son esprit, ce qui favorisa son contact avec l'aristocratie italienne. C'est dans la capitale ligurienne qu'il fit la connaissance de Sofonisba Anguissola (1532-1625), femme peintre presque nonagénaire et désormais aveugle, qui lui fit part de ses contacts directs avec le Titien, qu'elle avait bien connu. Après un tour à Florence, Bologne, Venise et Mantoue, il prit la direction de Rome où il s'installa. Au contact de tous les grands maîtres de l'art italien, il finit par privilégier le Titien et Véronèse ; il avait pu admirer ce dernier à Venise. Voici ce qu'écrivait le critique d'art Georges Lafenestre (1837-1919), dans un article de la Revue des deux mondes (1882) :

Si Titien lui apprit la fermeté de l’attitude, la noblesse de l’expression, l’éclat profond des couleurs, la puissance des sacrifices utiles, Paul Véronèse lui inspira le sentiment des attitudes charmantes, l’amour des colorations brillantes et fraîches, le goût des harmonies d’ensemble, enveloppant dans la tendresse d’une lumière délicate les formes adoucies des choses.
Le tableau suivant, représentant les enfants d'un aristocrate génois, illustre parfaitement cette influence de Véronèse, avec la profondeur des visages et le soin des détails vestimentaires.

Les enfants Balbi (1625-1627), National Gallery, Londres
C'est à Rome qu'il réalisa son premier portrait en pied, celui du cardinal Guido Bentivoglio (1577-1644), ancien nonce en Flandre puis en France. La toile obtint un succès général. De nombreux mécènes et amateurs d'art en voyage à Rome se bousculèrent pour la contempler. Le nom de van Dyck était sur toutes les lèvres. Sa renommée lui attira de nombreuses commandes et de généreuses gratifications, qui firent de lui un "peintre chevaleresque" jalousé par ses pairs romains, qui ne supportaient pas son succès, sa richesse et son impertinence naturelle. Il ne se mêlait pas non plus aux jeunes peintres flamands, amateurs de bagarres et de tapage nocturne, qui se répandirent en calomnies contre leur compatriote. C'était malheureusement le lot des artistes qui n'entraient pas dans le rang, quel qu'il soit... Antoon finit par ne plus supporter l'ambiance romaine et se hâta de retourner, en 1624, dans sa bien-aimée Gênes. 

Autoportrait (1622-1623), Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
Il passa deux années d'intense labeur dans la cité des doges, au service des grands familles (Brignole, Durazzo, Balbi), peignant portraits et scènes historiques à la manière italienne. Le Titien avait toujours sa faveur, et influencera, selon un savant mélange avec les techniques flamandes, ses futurs tableaux. Finalement, en 1625, il se résigna à retourner dans son pays natal, laissant à l'Italie un impressionnant patrimoine et une influence notable sur les jeunes artistes de la péninsule.

Mais les temps avaient changé à Anvers et le jeune artiste subit, comme Rubens à son arrivée, le mépris et la jalousie de beaucoup. Il attendit en vain les commandes tant espérées, regrettant jour après jour les succès italiens. Rubens se pencha sur son ancien collaborateur et lui acheta plusieurs tableaux pour l'encourager. Peu après, les commandes se multiplièrent, auprès des congrégations religieuses surtout, et van Dyck réussit à interpréter avec imagination et réalisme la peinture dramatique sacrée. Il fut même appelé pour réaliser le portrait de l'archiduchesse Claire-Isabelle-Eugénie (1566-1633), gouvernante des Pays-Bas, qui s'était retirée dans un couvent de Clarisses. Ce tableau représente une femme marquée par le poids de l'âge et des responsabilités, cachant les fastes d'hier sous les humbles vêtements d'un ordre mendiant. Un portrait on ne peut plus réaliste, sans aucune intention flatteuse, qui fit la renommée d'Antoon à Bruxelles.

L'infante Isabelle (1627), Kunsthistorisches Museum, Wien

Malgré tout, le jeune artiste, nostalgique de l'aventure italienne, était convaincu qu'il lui fallait quitter la Flandre pour d'autres horizons. L'Angleterre, souvenir de son premier voyage, lui tendait la main. Après un premier échec - le tout-puissant ministre Buckingham accordait sa faveur à d'autres peintres hollandais - van Dyck retourna à Anvers où il fut déterminé à s'enfermer dans l'ascèse laborieuse d'un artiste consacrant sa vie à la peinture. Entre les commandes religieuses, municipales, personnelles, il ne perdait pas son temps et sa détermination lui valut de réparer sa fortune. Ses nombreux portraits, aux couleurs vibrantes, témoignaient de son intention d'ouvrir la société flamande à culture italienne. Comme l'écrivait Lafenestre :

D’une habileté sans pareille à saisir promptement le caractère d’une physionomie et à l’exprimer vivement par ses traits les plus délicats, il déployait dès lors, dans ce genre de travail, une souplesse qui se pliait à toutes les exigences et une aisance qui ne se déconcertait jamais.

Sans compter les merveilleuses eaux-fortes qui soulignent sa maîtrise incomparable de la gravure, dans la lignée de Rubens : portraits de membres de l'aristocratie, mais aussi portraits d'artistes contemporains, qui montrent l'ampleur de ses liens amicaux et professionnels dans le monde artistique. Il a confié aussi à plusieurs graveurs le soin de créer des estampes à partir de ses dessins. Voici quelques exemples d'eaux-fortes de van Dyck, simples épreuves spontanées, parfois révisées au burin, qui témoignent de cette rapidité à saisir l'essentiel chez son modèle  :

Peter Brueghel le Jeune, dans une épreuve non révisée

Le graveur Lucas Vorstermans, dans un état plus achevé

Van Dyck a "révolutionné" l'art de la gravure et a donné une merveilleuse impulsion aux portraitistes en eau forte. L'historien de l'art britannique Arthur Mayger Hind (1880-1957) écrivait à ce sujet : "La gravure de portraits existait à peine avant lui, et elle est soudainement apparue dans son travail au plus haut point qu'elle a jamais atteint dans l'art."

A suivre...

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