mercredi 15 février 2017

15 février 1952 : 65e anniversaire des funérailles du roi George VI



Voici un très bel article du Figaro publié le 17 février 1952, décrivant les pompes funèbres du roi Georges VI, ce monarque qui a su si courageusement être le defensor civitatis de ses sujets durant les affres de la seconde guerre mondiale. La fraîcheur du langage et la grande culture du journaliste, qu'on peut bien regretter lorsque nous parcourons la presse actuelle, font de cet article un bel exemple d'éloge funèbre digne de ce nom.   

Un Anglais est mort mais l'Angleterre continue

Grand et fidèle serviteur de son pays, le roi George VI aura rendu d'outre-tombe à la Grande-Bretagne le dernier service qu'il pouvait lui rendre. À l'heure où la puissance britannique doit faire face, au-delà des mers, à tant de contestations, les obsèques du 15 février 1952, ont montré au monde que le Commonwealth était encore une solide réalité. Georges VI n'était pas empereur des Indes. Mais l'Inde et le Pakistan étaient là, qui suivaient son cercueil, avec les autres Dominions associés au deuil de l'Angleterre, comme ils l'ont été à la victoire.

Apparition au balcon de Buckingham Palace après le couronnement du roi George VI en 1936

Et le lourd carrosse doré, où, pour la première fois, la jeune reine de 26 ans se montrait à son peuple, drainait dans son sillage tout ce que l'Europe compte encore de têtes couronnées. Sans doute, il y en avait moins qu'aux funérailles de la reine Victoria, parce que le Gotha s'est rétréci depuis le début du siècle; mais il y avait, en revanche, plus de chefs d'État et plus de chapeaux hauts de forme.

Ce souverain d'une poignée d'îles qui suffisent à peine à nourrir leurs habitants s'en est allé vers la crypte de Windsor avec le même faste que ceux de ses devanciers qui ont fait trembler le monde. Dans un brouillard léger traversé d'un rayon de soleil, comme dans les paysages de Claude Lorrain, le protocole britannique vient d'inscrire une étonnante fresque.

J'ai vu se dérouler les obsèques d'une terrasse du Foreign Office, qui donne sur le Mail, à l'endroit où le cortège, obliquant sur sa gauche pour gagner Saint-James Street, faisait face au palais de Buckingham. Le regard embrassait presque dans son ensemble cette procession, dont les quelques habits noirs étaient noyés par la couleur des uniformes, par l'éclat des cuirasses de la garde et des cuivres des fanfares, par l'or des carrosses et par les chamarrures des hérauts d'armes. On eût dit une nouvelle tapisserie de Bayeux.


L'ensemble avançait avec une lenteur calculée, de ce pas de parade qui consiste non pas à marcher, mais à ramener successivement chaque pied au niveau de l'autre et qui permet de progresser dans l'immobilité, comme les pièces d'un échiquier. Dans l'intervalle des musiques militaires, on n'entendait rien d'autre que le frottement des semelles sur l'asphalte. Cela composait une sorte de mélopée funèbre, comme celle que joue le vent dans les cyprès et qui inspira à Chopin sa célèbre Marche.

Drapé dans son étendard blanc semé de lions, le cercueil était placé sur un affût de canon que traînaient à la bretelle cent cinquante canonniers de la marine. Le souverain, qui avait été, de son vivant, le gentleman anglais le plus simple de tout Norfolk, s'en allait, mort, tiré par cent cinquante épaules humaines, comme un monarque assyrien.


Le pays le plus démocratique de la terre et le plus farouchement attaché aux droits de l'individu contemplait avec une ferveur religieuse ce symbole de la monarchie. C'était le moment culminant de la cérémonie et l'on sentait que la foule communiait par la pensée. Et, devant ce peuple si féru de rites, si fort de ses traditions, qui regardait s'éloigner son défunt roi comme s'il eût été le Saint-Sacrement, on comprenait pourquoi l'Angleterre avait rompu avec Rome. Parce qu'elle est, elle aussi, une Église au service d'une autre religion révélée: le Britannisme.

Demain, au lever du soleil, la triple croix de l'Union Jack flottera de nouveau dans le ciel de Londres en l'honneur d'Elizabeth II.

Un Anglais est mort, mais l'Angleterre continue.

Par James de Coquet

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