mardi 22 novembre 2016

La loi fondamentale de succession au trône de France à la mort de Jean Ier le Posthume


Jean Ier le Posthume, basilique de Saint-Denis

La royauté française s'est construite sur la succession de trois dynasties (Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens) et sur la christianisation - et la stabilisation conséquente - des coutumes germaniques. Les troubles politiques de la fin de la période carolingienne (IXe et Xe siècles) ont entraîné un affaiblissement profond et durable du pouvoir monarchique, manifesté par la mise en place progressive du système féodal et le morcellement de l'autorité.  Les premiers Capétiens ont eu à cœur de rétablir l'autorité royale, légitimée par l'onction du sacre. Il fallait aussi établir des règles claires et définitives pour empêcher une contestation de cette autorité. Hugues Capet a été élu par les grands du Royaume en 987. Il fallait pérenniser la nouvelle dynastie qui venait d'accéder sur le trône. 

Comme le soulignait Franck Bouscau, éminent professeur d'histoire du droit à l'université de Rennes-I, il était nécessaire de mettre en place des règles de dévolution de la couronne. Ces règles, ce sont les lois fondamentales, distinctes des autres lois en ce qu'elles ne peuvent être modifiées par la volonté des hommes dès lors qu'elles ont été entérinées. Quatre principes majeurs vont être développés par les juristes et inscrits dans ce socle juridique de la monarchie française : l'hérédité de la dignité monarchique (confirmée par le sacre), la masculinité (sur laquelle nous allons nous pencher), la distinction entre la personne du Roi et l'État (notamment la notion d'indisponibilité de la Couronne) et l'appartenance à l'Église catholique (après les guerres de Religion au XVIe siècle).

La masculinité est en fin de compte une précision de l'hérédité. Auparavant, une première précision avait été donnée. En effet, pour assurer une continuité normale, sans heurts, du principe monarchique à la mort d'un souverain, il fallait éviter une division de l'autorité assortie d'un partage territorial - coutume germanique qui fut l'une des principales causes de l'affaiblissement de la monarchie carolingienne, à la suite du partage de Verdun (843) entre les fils de Louis le Pieux. C'est ainsi que le droit d'aînesse ou primogéniture a été imposé dès les premiers Capétiens : seul le fils aîné du roi est appelé à lui succéder comme seul et unique souverain. D'ailleurs, pour garantir la primogéniture et consolider leur dynastie, les premiers Capétiens ont choisi d'associer leur fils aîné au trône. Ce dernier était donc couronné et sacré du vivant de son père et pouvait ainsi lui succéder directement, sans transition. Un usage qui anticipe l'adage fondamental : « Le roi est mort, vive le roi ! » Cette coutume a été abandonnée par Philippe Auguste (1165-1223), qui n'associa pas son fils Louis VIII (1187-1226) au trône.

Tout aurait pu continuer logiquement selon cette loi de la primogéniture jusqu'à ce fatidique 5 juin 1316. Après plus de trois siècles de succession masculine ininterrompue - on parla à ce propos de « miracle capétien » - le roi Louis X le Hutin (1289-1316) meurt. Il laisse de son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, l'une des princesses compromises dans l'affaire de la tour de Nesle, une fille Jeanne (1311-1349) qui, en raison des déboires de sa mère, était considérée comme bâtarde par le Hutin. En secondes noces, Louis X avait épousé Clémence de Hongrie, qui s'est trouvée enceinte lorsque son époux mourut. Une première dans l'histoire du royaume, doublée d'un autre évènement, la longue vacance du siège pontifical depuis la mort du pape Clément V en avril 1314. Une régence est instaurée au profit de Philippe de France (1293-1322), comte de Poitiers. Jean Ier naît le 14 novembre 1316 et meurt cinq jours plus tard.



Une lente composition juridique de la primogéniture masculine

Entretemps, un important et urgent travail juridique a été réalisé par les juristes du royaume, à la demande de Philippe de Poitiers. Si l'enfant à naître était un garçon, la continuité monarchique était assurée sans contestation. S'il s'agissait d'une fille, qui serait l'héritier du trône ? A priori, il s'agirait de Jeanne de Navarre, la fille du premier mariage de Louis X, soutenue par ses parents de Bourgogne, dont la légitimité de la naissance avait pourtant été contestée par le défunt monarque. Bref, une femme pouvait-elle succéder au trône des lys ?

C'est alors que le principe de masculinité fut introduit dans la loi fondamentale de la succession. Il s'agit d'une ancienne coutume en usage chez les Francs saliens, dont furent issus les rois mérovingiens, coutume exhumée et connue depuis sous le nom de « loi salique ». Sans entrer dans les détails de ce qui est au fond un corpus juridique portant sur des questions diverses et variées, il faut insister ici sur le principe de la primogéniture masculine que la loi dite salique, introduite et précisée à partir de 1316 comme loi de succession au trône de France, imposa à la monarchie française. Ce sont les évènements qui ont suscité ce choix politique pour le bien de la couronne de France et l'unité et la sécurité du royaume. Il ne s'agit donc pas d'un principe auparavant incontestable et incontesté - une sorte de « dogme » politique - mais une coutume qui s'est imposée de soi comme loi fondamentale du royaume.

Plusieurs adages anciens, reflétant le langage du temps, ont été avancés par les légistes pour imposer l'exclusion des femmes : « Le royaume ne tombe point en quenouille », « Les lys ne filent point » (pour reprendre de manière accommodatice une citation de l’Évangile, cf. Mt VI, 28), etc. Ce ne sont évidemment pas des arguments machistes - halte à l'anachronisme ! Comme le souligne Franck Bouscau, la dimension sacerdotale - ou quasi-sacerdotale - du trône de France induisait une impossibilité pour les femmes de recevoir l'onction sacrale. « L'évêque du dehors » ne pouvait pas être une femme ! C'est ainsi véritablement l'exception française du sacre - bien que le sacre ait été diffusé aussi dans d'autres royaumes, mais selon des rituels distincts du rituel franc - qui justifie l'exclusion des femmes. En fin de compte, le régent détermine qu'en cas de naissance d'une fille, la régence se poursuivrait jusqu'à la majorité de Jeanne de Navarre, qui recevrait alors la couronne de France. 

Mais à la mort du petit roi Jean, Philippe est proclamé roi, malgré les protestations du duc Eudes IV de Bourgogne et de sa mère, Agnès de France, fille de saint Louis. Il est sacré en janvier 1317 à Reims. Pour éviter une contestation durable parmi les grands du royaume, il fait réunir une assemblée de prélats, docteurs et grands seigneurs en février suivant. Ceux-ci finissent par s'accorder sur l'impossibilité pour les femmes d'accéder au trône de France. En mars, à la suite d'un accord entre Philippe V et Eudes de Bourgogne, la petite Jeanne de Navarre renonce à d'éventuelles prétentions. 

La stratégie juridique de Philippe V a fini par l'emporter. Lui-même meurt sans héritier mâle survivant, en 1322 ; son frère Charles IV (1294-1328) lui succède. Il s'agit là d'une deuxième exclusion, qui frappe cette fois les quatre filles de Philippe V. Mais à la mort de Charles, le 1er février 1328, la situation de 1316 est répétée : son épouse, Jeanne d'Évreux, est enceinte. Quant à son plus proche parent mâle, il s'agit de son cousin germain, Philippe de Valois (1293-1350). Une régence est instaurée en faveur de ce dernier. Le 1er avril, la reine Jeanne accouche d'une fille, Blanche. Qui devait alors devenir le nouveau roi ? Le parent mâle le plus proche - en l'occurrence le roi d'Angleterre, Édouard III, neveu de Charles IV - ou le plus proche parent mâle par les mâles - à savoir Philippe de Valois. En fin de compte, Isabelle de France, mère d'Édouard III, avait-elle plus transmettre les droits de la couronne de France à son fils ?

Édouard III d'Angleterre et Philippe VI de France

Les dignitaires du royaume réunis en assemblée décrétèrent qu'une « femme, et par conséquent son fils, ne peut par coutume succéder au royaume de France. » C'était surtout là le moyen d'éviter que la couronne de France ne tombe entre les mains d'un souverain étranger - quoique, en l'occurrence, vassal du roi de France pour le duché d'Aquitaine. Philippe VI fut reconnu roi et sacré le 29 mai 1328. La suite, nous la connaissons, ce sera le refus d'Édouard III de prêter l'hommage lige à son cousin et son intention, en 1337, de revendiquer la couronne de France. Une guerre qui durera plus de cent ans s'ensuivit...

« Quoi qu’il en soit, souligne Franck Bouscau, l’autorité de la coutume, appuyée sur plusieurs applications au cours du premier tiers du XIVe siècle, se suffit à elle-même, et il en résulte que les règles de dévolution de la couronne sont désormais fixées : de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion des femmes et de leurs descendants. » Le principe de la collatéralité masculine avait fini par l'emporter.

Les évènements de 1316 ont constitué un véritable précédent dans l'histoire du royaume de France et ont suscité la mise en œuvre d'une procédure juridique nécessaire, à travers des tâtonnements compréhensibles, qui ne sera immédiatement mis noir sur blanc, en termes définitifs. Malgré les arguments solides formés par les opposants à cette coutume, celle-ci s'est finalement imposée comme légitime pour garantir la paix, l'unité et la sécurité du royaume de France. Une coutume qui demeure inaliénable, quoiqu'en pensent les détracteurs du légitimisme successoral sur la base des prétendues renonciations d'Utrecht... Mais ce sujet sera pour une autre fois !
 

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